V. 13 jusqu'au 17.
« Un enfant pauvre, mais qui est sage, vaut mieux qu'un roi vieux et insensé, qui ne sait rien prévoir pour l'avenir; car quelquefois tel est dans la prison et dans les fers qui en sort pour être roi, et tel est né roi qui tombe dans une extrême pauvreté. J'ai vu tous les hommes vivants qui marchent sous le soleil avec un second jeune homme, qui doit succéder à son tour. Tous ceux qui ont été avant lui sont un peuple infini en nombre, et ceux qui doivent venir après ne se réjouiront point en lui. Mais cela même est une vanité et une affliction d'esprit. » Mon précepteur dans l'hébreu, que je cite souvent dans cet ouvrage, me dit, un jour qu'il lisait l'Ecclésiaste avec moi, que Baraciba, le plus célèbre de tous les docteurs juifs, expliquait ainsi cet endroit de l'Écriture. L'homme intérieur , qui commence d'agir en nous après l'âge de quatorze ans, ou l'âge de puberté, vaut beaucoup mieux que l'homme extérieur et charnel qui est sorti du ventre de la mère avec un grand penchant pour les vices. Il est sorti du sein de lanière comme d'une prison où les enfants sont enchaînés, et il n'en est sorti que comme un esclave du péché qui règne en lui. Cet homme est tombé dans une extrême pauvreté en la personne de ses descendants, qui commentent toutes sortes de crimes. J'ai donc vu ceux qui ont vécu selon les inclinations du premier homme, et qui dans la suite ont quitté l'enfance pour passer à un âge plus raisonnable, à l'état du second homme, qui se forme en nous peu à peu pendant que le premier se détruit ; et j'ai remarqué que tous avaient péché dans ce premier homme avant que devoir paraître en eux le second, et avant qu'on vit deux hommes contraires en chacun de nous. Mais comme ils se sont tournés du côté du bien et qu'ils ont quitté la gauche de la lettre Y1, fameuse parmi les philosophes, pour se jeter à droite, je veux dire pour suivre le second homme qui a succédé au premier, ils n'ont point de joie lorsqu'ils se souviennent de ce premier homme qui les a fait pécher. L'Apôtre nous est aussi témoin que nous portons deux hommes en nous-mêmes; et cette expression suivante du livre du Lévitique semble nous en avertir: « L'homme, l'homme qui voudra faire cela ou ceci, etc. »
Saint Grégoire, évêque de Pont, disciple d'0rigène, a pris ce passage dans le sens suivant, quand il a expliqué l'Ecclésiaste. Pour moi, dit-il, je préfère volontiers un enfant pauvre et sage à un vieux fou qui est assis sur le trône, et qui est incapable de comprendre qu'il n'est pas impossible que quelqu'un de ceux qu'on a mis en prison et chargés de chaînes par ses ordres sorte de là pour être couronné roi, et que lui-même perde toute son autorité et la puissance dont il abuse si injustement; car il arrive quelquefois que ceux qui ont vécu d'abord sous le règne d'un roi fort vieux trouvent ensuite de grandes douceurs sous la conduite d'un enfant qui gouverne sagement son royaume; mais ceux qui viendront après eux, n'ayant aucune connaissance des maux passés, ne pourront point louer l'enfant sage qui a succédé à un roi vieux et insensé, parce qu'ils se laisseront emporter par de fausses opinions et par les mouvements impétueux de leurs inclinations opposées à la vertu.
Apollinaire, évêque de Laodicée, fameux interprète des Ecritures, tâche ici, à son ordinaire, d'expliquer les plus grandes difficultés et de dire de grandes choses en peu de mots. Il prétend tend que l'Ecclésiaste parle en cet endroit de l'échange imprudent que l'on fait quand on donne de grandes et de bonnes choses pour d'autres moindres et mauvaises. Par là il veut nous donner l'idée de ces hommes insensés qui préfèrent les biens présents et passagers à la félicité des biens futurs et de la vie éternelle qu'ils ne considèrent jamais, ne prenant plaisir que dans la jouissance de ce qui flatte les sens et leurs inclinations brutales. Après qu'il a encore parlé en général de ce qui arrive dans ce monde et des vicissitudes qu'on y remarque, il conclut enfin par la mort, qui est le terme de toutes les fortunes du siècle et de toutes les actions des hommes. On voit donc mourir tous les jours une infinité de personnes dont d'autres occupent aussitôt la place , et ces derniers feront bientôt place à d'autres qui viendront après eux. Cette succession continuelle est la preuve de la vérité des paroles de l'Ecclésiaste.
Origène et Victorin, qui s'accordent assez, appliquent cet endroit à Jésus-Christ et au démon. Jésus-Christ est l'enfant pauvre et plein de sagesse, et le démon le roi vieux et insensé. L'Ecclésiaste a donc vu par un esprit prophétique tous les hommes qui peuvent être participants des grâces de celui qui dit : « C'est moi qui suis la vie,» et qui abandonnent le roi vieux et insensé pour suivre Jésus-Christ. Ou bien ceci est la figure de deux peuples d'Israël, du premier qui a été attaché à Dieu avant la venue de notre Sauveur, et du dernier qui doit recevoir l'Antéchrist pour le véritable Christ. Ce premier peuple n'a pas été entièrement rejeté, puisque la première Eglise de Jésus Christ a été formée en partie du peuple juif d'où les apôtres ont été choisis; mais les Juifs qui donneront dans l'illusion à la fin du monde n'auront aucun sujet de se réjouir et de se glorifier dans la personne de leur Christ, eux qui mettront, à la place du Messie et de l'oint du Seigneur, un méchant homme et le véritable Antéchrist.
La lettre Y, qu'on a appelée la lettre de Pythagore, était le symbole de la voie de la vertu et de la voie du vice : le côté droit marquait les gens de bien, le côté gauche les méchants et les vicieux. ↩
