CHAPITRE XX. LA DOULEUR DANS LES NATURES BONNES.
La douleur, que certains hommes regardent comme le plus grand de tous les maux, qu'il s'agisse de la douleur de l'esprit ou de la douleur du corps, ne peut se rencontrer que dans les natures bonnes. En effet, ce qui résiste jusqu'à la douleur affirme à sa manière qu'il refuse de ne pas être ce qu'il était, parce qu'il était bien. Quand c'est pour devenir meilleur que l'on souffre, la douleur est utile; quand c'est pour devenir pire, la douleur est inutile. La douleur dans l'esprit n'est donc, à proprement parler, que l'effort de la volonté pour résister à une puissance supérieure; dans le corps, ce qui constitue la douleur, c'est la résistance opposée par les sens à un corps plus puissant. Les plus grands maux sont ceux qui sont sans douleur; ainsi, se réjouir de l'iniquité est un mal bien plus grand que de s'attrister de la corruption. Toutefois cette joie, même dans l'iniquité, ne peut venir que de l'acquisition de biens d'un ordre inférieur, tandis que l'iniquité est un acte de renoncement aux biens supérieurs. De même, quand il s'agit du corps, une plaie accompagnée de douleur est préférable à une putréfaction sans douleur : ce qui constitue proprement la corruption. Cette corruption n'a pas été goûtée par le corps du Sauveur, et ainsi fut accomplie la prophétie : « Vous ne permettrez pas que votre saint voie la corruption1 ». Ne sait-on pas que ce corps a été perforé par les clous et transpercé par une lance? Du reste, la corruption même du corps n'est possible qu'autant qu'il y a quelque bien à détruire. Si toute espèce de bien a disparu, la nature même a cessé d'être, et la corruption, par le fait, devient impossible.
Ps. XV, 10. ↩
