CHAPITRE XLIII. LA NATURE DE DIEU ACCUSÉE PAR LES MANICHÉENS.
Si nous parvenons à prouver que, même avant le mélange du mal, inqualifiable folie à laquelle cependant ils n'hésitent pas à ajouter foi, la nature même de la lumière se trouvait entachée de grands maux, que pourrons-nous ajouter à d'aussi horribles blasphèmes ? D'abord, avant de combattre, elle subit la dure et inévitable nécessité de faire la guerre; n'était-ce pas là déjà un bien grand mal, quand il n'y avait encore eu aucun mélange du mal? Pourrait-il m'expliquer cette effrayante contradiction ? Si la nécessité n'est pour rien dans ce phénomène, toute la responsabilité doit peser sur la volonté ; mais encore ne puis-je pas comprendre un Dieu qui veut nuire à sa propre nature, quand aucun ennemi ne pouvait l'atteindre; un Dieu qui pousse la cruauté jusqu'à mêler au mal sa propre nature, sauf par la suite à en purifier une partie d'une manière honteuse, et à damner injustement l'autre partie? C'est là cependant le triste effet d'une volonté criminelle, barbare et cruelle, et cela avant d'avoir été mêlée à la nation contraire ! Ce Dieu ignorait-il donc que ses membres s'éprendraient d'amour pour les ténèbres, et qu'ils se poseraient en ennemis de la sainte lumière, c'est-à-dire en ennemis non. seulement de leur Dieu, mais encore du Père qui les avait engendrés ? Mais alors comment expliquer en Dieu cette affreuse ignorance avant qu'il eût subi aucun mélange avec la nation des ténèbres ? Admettez-vous que rien ne lui était caché? j'en conclurai alors qu'il était victime d'une éternelle cruauté, puisqu'il contemplait d'un oeil tranquille la future souillure et la future damnation qui attendait sa nature; s'il en souffrait à l'avance, il était donc éternellement malheureux. D'un côté comme de l'autre, comment m'expliquerez-vous un mal aussi grave dans le souverain bien, avant tout mélange avec le souverain mal ? Attribuerez-vous cette ignorance uniquement à la partie de sa nature qui est enchaînée dans le gouffre éternel ? Cette partie appartenait à la nature de Dieu ; donc il pouvait y avoir une ignorance éternelle dans la nature de Dieu. Le savait-elle ? alors de toute éternité elle était malheureuse. Encore une fois, comment un si grand mal avant qu'elle eût été mêlée à la nation des ténèbres ? Mais peut-être qu'elle était dans toute la joie de la charité, parce que le châtiment qu'elle devait subir procurerait un éternel repos aux habitants de la lumière ? Pour peu que l'on comprenne l'horreur d'un tel langage, on ne peut que le frapper d'anathème. Et encore, si en faisant preuve d'un tel amour, elle ne devait pas elle-même devenir l'ennemie de la lumière; oubliant un instant qu'il s'agit de la nature de Dieu, on pourrait la louer, comme on applaudit à tout homme qui, pour sauver sa patrie, se condamne volontairement à tel mal, pourvu que ce mal ne soit que pour un temps et non pas éternel. Or, il n'en est pas ainsi dans la question qui nous occupe, car c'est pour l'éternité que cette nature, la nature même de Dieu, est enchaînée dans le gouffre des ténèbres. Libre donc à vous de supposer en Dieu cette joie, mais avouez du moins que cette joie est uniquement criminelle et horriblement sacrilège, si elle doit avoir pour effet en Dieu d'aimer les ténèbres et de devenir l'ennemi de la sainte lumière. Comment donc expliquer un si grand mal avant que la nature de Dieu eût été mêlée à la nation ennemie ? Attribuer tant de biens au souverain mal, et de si grands maux au souverain bien qui est Dieu, n'est-ce pas là une absurdité aussi impie que criminelle, et qui soulève de dégoût le coeur le plus insensible ?
