CHAPITRE XLVII. MANÈS COMMANDE LA PERPÉTRATION DE CES HORREURS.
O monstruosité criminelle ! ô affreuse ruine de toutes les âmes trompées et séduites ! Je laisse de côté les hontes infligées à la nature de Dieu dans ce triste esclavage; mais, du moins, que tous ces malheureux qui se sont laissé prendre aux séductions empoisonnées de l'erreur, veuillent donc bien réfléchir un instant; s'ils admettent que c'est par la génération que la partie de Dieu se trouve enchaînée, s'ils croient que cette partie n'est délivrée et purifiée que par la manducation, qu'ils acceptent la rigoureuse conséquence de cette erreur, qu'ils ne se- contentent plus de la manducation du pain et des légumes, car ils affectent extérieurement de ne se nourrir que de ces substances, et qu'ils délivrent et purifient la partie de Dieu partout où elle se trouve enchaînée, qu'ils ne reculent pas devant les conséquences de la génération. On cite en effet des Manichéens qui, devant les tribunaux, en Paphlagonie et même dans les Gaules, n'ont pas rougi d'avouer publique. ment qu'ils étaient fidèles à leur doctrine jusque dans ses dernières conséquences. Quand on leur demandait sur l'autorité de quel livre ils s’appuyaient, ils citaient le Trésor et en particulier le passage dont j'ai . parlé plus haut. Quant à nos Manichéens plus discrets et plus prudents, si on leur fait cette objection, ils ont une réponse toute stéréotypée; ils disent qu'un malheureux du nombre de leurs élus, poussé sans doute parla jalousie et par la haine, a formé un schisme et imaginé cette infâme hérésie. Admettons, s'ils le veulent, qu'ils ne se livrent pas à ce comble de la dégradation; mais qu'ils conviennent aussi que ceux qui s'y livrent ne font que mettre en pratique la doctrine de leurs propres écrits. S'ils ont horreur du crime, qu'ils brûlent donc leurs livres; mais s'ils les conservent et qu'ils soient conséquents avec eux-mêmes, ils se trouvent forcés de le commettre; si malgré cela ils ne le commettent pas, j'en conclus qu'ils valent mieux que leurs livres. Mais voici qu'on leur pose le dilemme suivant: Ou purifiez la lumière de toutes les semences qui la renferment, et ne reculez devant aucune des infamies que vous affirmez ne pas commettre, ou lancez l'anathème contre Manès, qui affirme que la nature de Dieu se trouve dans toutes les semences, qu'elle est enchaînée par la génération, et qu'elle se trouve purifiée toutes les fois qu'elle est assez heureuse pour devenir l'aliment des élus. A cela que peuvent-ils répondre? à quelles tergiversations auront-ils recours? comment ne pas admettre ou qu'il faut anathématiser la doctrine,ou consommer les horreurs qu'elle commande? J'ai rappelé précédemment les maux intolérables qu'ils supposent dans la nature de Dieu, et qui l'ont placée dans la nécessité de faire la guerre. J'en ai conclu ou que Dieu était dans une ignorance absolue, seul moyen d'expliquer son éternelle sécurité, ou qu'il était en proie à une douleur et à des alarmes éternelles, dans l'attente du triste moment où arriveraient, pour une partie de lui-même, la corruption du mélange et les chaînes de la damnation éternelle. J'ai dit que la guerre éclata, mais que la substance de Dieu devint captive, opprimée, souillée; qu'après une fausse victoire elle sera éternellement fixée à un horrible globe de ténèbres, et séparée pour toujours de la félicité dont elle jouissait à son origine. Or, tous ces maux, quelque repoussants qu'ils soient, ne me paraissent rien en comparaison de toutes ces turpitudes que je viens de décrire.
