XVIII.
« Nous n'aurions jamais fait si nous voulions parler de tout. Il n'y a point de partie dans l'homme qui ne soit placée ou pour la nécessité, ou pour l'ornement. Et ce miracle d'être tout semblables et de ne l'être point? Et puis, cette façon de naître toute pleine de merveilles, ce désir d'engendrer, n'est-ce pas Dieu même, qui l'inspire et qui forme le lait dans le sein des femmes, afin de fournir une nourriture assez délicate pour ces petites créatures? Mais il ne se contente pas de donner l'ordre en général, il pourvoit à tout en particulier. Il échauffe par les vapeurs tièdes de la mer l'île de Bretagne qui ne pouvait être échauffée par le soleil; le Nil sert de pluie à l'Egypte ; l'Euphrate engraisse la Mésopotamie et la féconde, et le fleuve qui a donné son nom aux Indes, est celui, à ce qu'on dit, qui les sème et qui les arrose. Que si l'on voyait, en entrant dans une maison, les chambres parées et tendues, ne dirait-on pas aussitôt que c'est l'ouvrage d'un homme? Et dans ce superbe palais arrangé par les mains de la nature, où nous voyons un ordre et une providence admirable, ne croirons-nous point qu'il y a quelque esprit plus grand et plus excellent que toutes ces choses, qui en est le maître et le conducteur. Mais vous ne doutez point peut-être de la Providence, vous doutez seulement si c'est un seul être qui gouverne. Il n'est pas difficile de vous l'enseigner si vous voulez considérer le monde. Où a-t-on vu de royauté souffrir longtemps un compagnon? Ne parlons point de ces grands de Perse qui attendaient l'élection d'un prince du hennissement d'un cheval ; laissons cette vieille histoire des Thébaius; mais chacun sait la dissension des deux frères pour un petit royaume de pasteurs, et pour des cabanes de bergers. Les guerres de César et de Pompée ont remué l'Europe, l'Afrique et l'Asie, et un si grand empire n'a pu porter à la fois le gendre et le beau-père. Considérez le reste. Les abeilles ont un roi, les troupeaux n'ont qu'un conducteur, et tu imagines dans le ciel deux maîtres? Ne sais-tu pas que l'auteur de la nature n'a point de bornes; qu'il n'a ni fin ni commencement; qu'il se donne à soi-même l'éternité, comme il donne le principe à toutes choses; qu'avant le monde il était lui-même son occupation et sa gloire ; qu'il a fait tout ce que tu vois par sa parole, comme il le dispose par sa sagesse, et l'achève par sa vertu? Il ne se voit point, parce qu'il est au delà des sens. Il ne se peut comprendre, parce qu'il est au-dessus de l'entendement. Il est immense, infini, connu seulement à lui-même ; car noire esprit est trop petit pour le concevoir. Dirai-je ce qu'il m'en semble? nous ne le comprenons jamais mieux qu'en l'appelant incompréhensible. Quiconque s'imagine connaître sa grandeur la diminue, et qui ne la diminue point ne la peut connaître. Ne t'enquiers point de son nom ; son nom c'est Dieu. On cherche des mots, quand une chose peut être divisée, mais Dieu étant simple ne peut être divisé. Si je l'appelle père, tu conçois aussitôt un père à notre façon ; si je l'appelle roi ou seigneur, il en est de même. Ote tout ce que ces noms ont de terrestre, et tu as trouvé ce qu'il est. C'est ici le consentement général de tous les peuples. Quand on tend les mains au ciel on ne nomme que Dieu ; on dit que Dieu est grand, qu'il est véritable; on dit encore : « s'il plaît à Dieu. » C’est ainsi que parlent les hommes ; et ce n'est pas tant la confession d'un chrétien que la voix de la nature. Ceux même qui font Jupiter le souverain des dieux, ne s'abusent que sar le mot, car ils sont d'accord d'une seule puissance.
