XIX.
« Les poètes aussi chantent un père des dieux et des humains, et disent que c'est loi qui forme nos pensées comme il lui plaît. Que dit Virgile? ne parle-t-il pas encore plus clairement et en approchant davantage la vérité, quand il dit:
………………………….. Une source de feux.
Comme un fleuve éternel répandue en tous lieux,
De sa flamme invisible entourant la matière,
Jadis versa la vie à la nature entière,
Alluma le soleil et les astres divers,
Descendit sous les eaux et nagea dans les airs.
Chacun de cette flamme obtient une étincelle.
C'est cet esprit divin, cette âme universelle
Qui, d'un souffle de vie animant tous les corps,
De ce vaste univers fait mouvoir les ressorts,
Qui remplit, qui nourrit de sa flamme féconde
Tout ce qui croit dans l'air sur la terre et dans l'onde.1
Et ailleurs il donne le nom de Dieu à cette âme universelle :
Dieu remplit le ciel, la terre et l'onde ;
Dieu circule partout, et son âme féconde
A tous les animaux prête un souffle léger.2
Et ailleurs :
Ce pouvoir qui, créant l'homme «t les animaux,
Leur verse de la vie et les biens et les maux,
Les orages, les feux.3
Et que disons-nous autre chose? Nous rapporterons si vous voulez la doctrine des philosophes; vous verrez qu'ils sont de cet avis, quoiqu'ils s'expriment diversement. Je laisse à part les plus anciens, qui ont mérité le nom de sages par leur doctrine ; car Thalès de Milet, qui est le premier de tous, et qui a le premier disputé publiquement des choses célestes, dit que l'eau est le principe dont l'esprit a formé toutes choses: mais que de savoir particulièrement comment ils agissent ensemble, ce n'était pas au pouvoir de l'homme, et que Dieu qui est cet esprit l’a révélé. Voyez-vous comme le sentiment du premier des philosophes s'accorde avec le nôtre? Plus tard Anaximène, et depuis Diogène, qu'on a surnommé l'Apolloniate, ont dit que Dieu était une nature aérienne, immense et infinie; ceux-là ne diffèrent pas encore d'avec nous. Anaxagore dit que Dieu est un esprit infini qui a arrangé toutes choses. Pythagore dit que c'est un esprit qui s'épand partout, et qui donne la vie à tout ce qui est au monde. Xénophane veut que Dieu soit une infinité animée. Antisthène disait qu'il y avait plusieurs dieux de divers pays, mais qu'il n'y en avait qu'un principal, qui était Dieu de sa nature. Speusippe a estimé que c'était une vertu naturelle et animale, par laquelle toutes choses étaient conduites. Démocrite lui-même, quoiqu'il ait inventé les atomes, ne dit-il pas souvent que Dieu est cette nature première, et cette intelligence qui produit les images. Straton a pensé aussi que c'était la nature. Épicure lui-même, qui a cru qu'il n'y avait point de dieux, ou qu'ils étaient dans une oisiveté profonde, met la nature par-dessus tout. Aristote n'est pas toujours d'un seul avis. Il établit néanmoins une puissance unique, car tantôt il dit que c'est l'esprit, tantôt que c'est le monde; tantôt que c'est encore quelque chose au-dessus du monde. Aristote le Pontique n'est pas moins chancelant; car tantôt il donne la surintendance à l'esprit divin, tantôt il ne sait rien de plus grand que l'univers. Héraclide, qu'on a appelé aussi le Pontique, adopte un esprit divin : mais il n'est pas toujours d'accord, non plus que Théophraste, Zénon, Chrysippe et Cléanthe. Mais enfin tous n'admettent qu'une Providence; car Cléanthe dit, tantôt que Dieu est un esprit, tantôt que c'est un feu, tantôt une intelligence. Zénon son maître tient que c'est une loi naturelle et éternelle qui est dans les choses. Quelquefois il dit aussi que c'est un feu et une intelligence; et montre bien l'erreur populaire touchant les dieux, lorsqu'il dit que Junon c'est l'air, Jupiter le ciel, Neptune la mer, Vulcain le feu ; et que les autres sont, de la même manière, d'autres principes de la nature. Chrysippe dit presque la même chose : que Dieu est une vertu divine et une nature intellectuelle : mais quelquefois il croit que c'est le monde et une nécessité fatale, et imite Zénon dans l'interprétation des fables des dieux, qui se trouvent dans les livres d'Homère, d'Hésiode et d'Orphée. Diogène aussi, celui qu'on a surnommé le Babylonien, explique l'accouchement de Jupiter, la naissance de Minerve, et autres histoires semblables, comme étant des phénomènes de la nature et non pas des dieux. Xénophon, le disciple de Socrate, pense que le vrai Dieu ne se peut voir, et qu'il ne le faut point chercher. Ariste, de l'île de Chio, dit qu'il est même incompréhensible; l'un et l'autre a compris la grandeur de Dieu en ne le pouvant comprendre. Platon parle plus clairement de la Divinité, et s'abuse moins sur le nom et sur la chose. En effet il serait tout divin, s'il n'avait puisé quelque chose de terrestre des opinions du monde. Il dit donc en son Timée que, par le nom de Dieu, on entend le Père de cet univers, le Créateur de l'âme, l'Auteur du ciel et de la terre, incompréhensible à cause de son immensité, et qu'on ne doit pas découvrir au monde, quand il arriverait qu'on l'aurait compris. Nous disons presque la même chose. Car encore que nous connaissions Dieu et l'appelions le Père de cet univers, nous n'allons point dire publiquement notre opinion à moins que quelque nécessité ne nous y oblige.
Principio cœlum ac terras, camposque liquentes, Lucentemque globum lunae, titaniaque astra Spiritus iutus alit, totamque infusa per artus. Mens agitat molem, et magno se corpoie miscet. Inde hominum pecudumque genus, vitaeque volantum, Et quae marmoreo fert monstra sub aequore pontus. (Virgile, Enéide, l. VI, v. 224 et suiv.) ↩
Deum namque ire per omnet Terrasque, tractusque maris, cœlumque profundum: Hinc pecudes, armenta, viros, genus omne ferarum, Quemque sibi tenues nascenlem arcessere vitas. (Géorg., l. IV, v. 221 et suiv.) ↩
Unde hominum genus,et pecudes; unde imber et ignes. (Enéide., liv. I, v. 747.) ↩
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