XXXV.
« Au reste, que personne ne rejette ses fautes sur le destin et sur une fatalité inévitable. Attribuons, tant que nous voudrons, nos fautes à notre condition ou à la fortune, toujours est-il vrai de dire que notre volonté était libre; et c'est l'action de l'homme qui est punie, et non pas son rang ni sa qualité. Qu'est-ce que la destinée, sinon ce que Dieu a destiné, lui qui pouvant prévoir la matière de ses décrets, les rend selon les mérites et les qualités de chacun? Ainsi il punit en nous le vice, il ne punit pas la naissance. Mais c'est assez parler sur ce point, et si c'est peu pour le présent, nous en traiterons une autre fois plus amplement. Au reste, si nous sommes pauvres comme vous nous reprochez, ce n'est pas notre honte, mais notre gloire. Comme l'esprit se perd dans le luxe, il se forme dans la frugalité. Néanmoins, est-il pauvre celui à qui il ne manque rien, qui ne désire point le bien d'autrui, qui est riche en Dieu? L'homme véritablement pauvre est celui qui, ayant beaucoup, désire encore davantage. Dirai-je ce qu'il m'en semble? nous naissons encore plus pauvres que nous ne continuons à l'être. Les oiseaux vivent sans biens; les animaux n'ont point de revenu, et trouvent tous les jours leur nourriture. C'est, pour nous toutefois qu'ils sont faits; et certes nous possédons toutes ces choses si nous ne les souhaitons point. Comme donc, en un voyage, moins on est chargé et plus on est à son aise ; de même durant le cours de nos jours, la pauvreté nous soulage de beaucoup de soins, et nous ne haletons point sous le faix des richesses. Cependant si nous croyions qu'elles nous fussent nécessaires nous les demanderions à Dieu; il nous pourrait donner quelque chose de tous ces grands trésors qui lui appartiennent ; mais nous aimons mieux mépriser les biens que de les posséder. Nous souhaitons plutôt l'innocence, nous demandons plutôt la patience; en un mot, nous aimons mieux la probité que le luxe. Que si nous souffrons les incommodités de la vie, et les infirmités de notre nature, ce n'est pas une peine, mais un exercice ; car les afflictions servent à nous fortifier, et nous apprenons la vertu dans la misère. Les forces du corps et de l'esprit s'engourdissent si elles ne sont exercées. Et tous ces grands hommes dont vous nous prêchez les exemples, ne sont-ce pas les calamités qui les ont rendus célèbres? Ce n'est pas donc que Dieu nous méprise, ni qu'il soit trop faible pour nous secourir, puisque nous savons qu'il aime les siens? et qu'il est le maître du monde ; mais il nous exerce dans les adversités, il éprouve nos forces; il sonde la volonté de l'homme jusqu'à la mort, sachant bien que rien ne peut échapper à sa providence; en un mot, il nous éprouve dans les afflictions, comme on éprouve l'or dans le feu.
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