XXI.
« Lisez les écrits des sages et des philosophes stoïques, vous reconnaîtrez avec moi que les hommes ont été faits dieux ou pour leurs bienfaits, ou pour leur mérite. Évhémère indique dans l'ordre du temps leur naissance, leur pays et leurs noms, et il cite les lieux où sont leurs sépulcres. Il fait voir encore par les impostures de Jupiter Dictéen, d'Apollon Delphique, de l'Isis de Phare et de la Cérès d'Eleusis, qu'on a mis au nombre des dieux, ceux qui en courant le monde ont porté dans les pays l'invention de quelques semences, ou de quelque autre chose utile à la société humaine. Perséus est de même avis, et ajoute qu'on a nommé de leur nom les choses qu'ils ont inventées, comme le poète, quand il dit :
Venus languit sans Bacchus et Cérès.1
Alexandre le Grand, dans un discours assez long qu'il a écrit à sa mère, lui mande qu'il a fait découvrir par force à un prêtre le mystère des dieux. Il fait Vulcain le premier de tous, et place ensuite la race de Jupiter. Considérez le sistre d'Isis changé en hirondelle, et levain tombeau du dieu que l'Egypte adore, dont les membres ont été mis en pièces. Enfin dans toutes les cérémonies et les mystères, vous verrez la misérable fin de vos dieux, leur mort et leurs funérailles. Isis pleure son fils qu'elle a perdu, et le cherche en compagnie de ses prêtres chauves et de son cynocéphale. Les misérables isiaques frappent leur estomac, et imitent cette dolente mère. Aussitôt après elle se réjouit d'avoir recouvré son fils; les prêtres jettent des cris de joie, et le cynocéphale qui l'a trouvé en fait gloire. Ainsi ils ne cessent tous les ans de perdre ce qu'ils ont trouvé, et de retrouver ce qu'ils ont perdu. N'est-il pas parfaitement ridicule de pleurer ce qu'on adore, ou d'adorer ce qu'on pleure? Ce sont là néanmoins les dévotions de l'Egypte, et maintenant celles de Rome. Cérès, environnée de serpents, cherche, le flambeau à la main et pleine d'inquiétude, sa fille qu'on lui a enlevée; voilà les mystères d'Eleusis. Ceux de Jupiter ne sont pas moins ridicules; une chèvre sert de nourrice ; on dérobe un enfant à son père de peur qu'il ne le dévore ; les corybantes sonnent des cymbales pour empêcher que ses cris ne s'entendent. Passons aux autres. Cybèle mutila son galant, parce qu'il ne se pouvait résoudre à l'aimer quoiqu'elle fût mère des dieux, parce qu'elle était trop vieille et trop laide. On dirait qu'elle avait envie de faire un dieu d'un eunuque ; car les Gaulois adorent ce misérable amant en se condamnant certainement eux-mêmes à sabir la même infortune. Ce ne sont pas là des mystères, ce sont des supplices. La figure même que vous donnez à vos dieux n'est-elle pas honteuse et infâme? Vulcain est un dieu boiteux; Apollon est encore sans barbe après tant de siècles, et son fils Esculape a une barbe vénérable. Neptune a les yeux bleus, Minerve les a verts, Junon les a comme ceux d'un bœuf. Pan a les pieds faits comme une chèvre, Saturne y a des fers, et Mercure y a des ailes. Janus a deux visages, comme s'il voulait marcher à reculons. Diane a un habit de chasseur, mais à Ephèse elle a une infinité de mamelles, et en qualité de déesse des enfers, on lui donne trois têtes et plusieurs mains. Et votre Jupiter même! tantôt il est sans barbe, et tantôt il est barbu. Quand il est Hammon, il a des cornes ; quand il est Jupiter Capitolin, il a des foudres; lorsqu'il est Latiaris, il est tout sanglant ; Phérétrien il est muet. Enfin, pour abréger, autant de noms, autant de monstres, Erigone est pendue pour briller ensuite entre les astres. Castor et Pollux, afin de vivre, meurent tour à tour. Esculape, pour devenir dieu, est frappé d'un coup de foudre. Hercule doit consumer dans le feu ce qu'il avait de terrestre.
Sine Cerere et libero friget Venus. (Térence, Eunuque, acte IV, sc V, v. 6.) ↩
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