XXV.
« Mais venons à ces augures qui, dites-vous, font tant de bien à ceux qui les observent, et qui ont causé tant de maux pour avoir été négligés. C’est, pensez-vous, pour n'avoir pas attendu le trépignement solennel des poulets sacrés, que les armées de Claudius, de Junius et de Flaminius ont été défaites. Mais Régulus a observé les augures et n'en fut pas moins prisonnier. Mancinus, non moins qu'eux, fut contraint de se rendre et de passer sous le joug. Les poulets de Paulus ne mangeaient ils pas fort bien à la bataille de Cannes? cependant il y périt avec la plus grande partie de la république. César méprisa les augures qui lui défendaient le passage en Afrique avant l’hiver, et ne laissa pas de naviguer heureusement et de vaincre; vous diriez que cela hâta la victoire. Combien aurais-je de choses à dire des oracles. Amphiaraüs prévoit ce qui doit arriver après sa mort, et ne prévoit pas ce qui arrivera durant sa vie, et comment sa femme le trahira pour un collier. Tirésias voit l'avenir et ne voit pas le présent. Ennius suppose impunément une réponse d'Apollon Pythien à Pyculius, quoiqu’Apollon eût déjà cessé de s'exprimer en vers ; car les oracles ont commencé à se taire aussitôt que les hommes ont commencé à se polir. Démosthène accusait la prêtresse de Delphes de philippiser, parce qu'il savait, fort bien que ses réponses lui étaient dictées. Mais les oracles ont quelquefois dit la vérité? Quoique cela ne soit pas fort étrange parmi tant de mensonges, et que la fortune fasse quelquefois les mêmes choses que la raison, je veux néanmoins remonter à la source de l'erreur, et sonder l'abîme d'où sont sorties tant de ténèbres. Il existe des esprits malins et vagabonds qui ont gâté toute la beauté de leur naissance par les souillures du monde. Ces misérables, après avoir perdu les avantages de leur nature et s'être plongés dans les vices, tâchent pour se consoler d'y précipiter les autres. Comme ils sont corrompus, ils ne se plaisent qu'à corrompre : s'étant séparés de Dieu, ils ne peuvent souffrir que les autres s'en approchent. Les poètes et les philosophes les appellent des démons, et Socrate en avait un, de qui il suivait la fantaisie. Ce sont eux qui opèrent ce que les magiciens font d'admirable, qui donnent l'efficacité à leurs enchantements, qui font qu'on voit ce qu'on ne voit pas, et qu'on ne voit pas ce qu'on voit, qui produisent enfin toutes ces autres merveilles dont on parle. Cependant Hoscanès, le plus excellent magicien et pour la science et pour la pratique, rend à Dieu l'honneur qui lui est dû, et dit que les anges qui sont ses ministres et ses messagers adorent sa majesté et tremblent devant sa face. Il dit encore que les démons sont des esprits terrestres, vagabonds, et ennemis des hommes. Platon qui trouvait de la difficulté à connaître Dieu, n'en a point trouvé à les connaître. Il discourt des démons et des anges et tâche même, dans son dialogue du Banquet, d'exprimer la nature des premiers. Il dit que c'est une substance moyenne entre la mortelle et l'immortelle, c'est-à-dire entre le corps et l'esprit ; et qu'ils sont faits du mélange d'une substance terrestre et céleste. Il croit encore que ce sont eux qui engendrent nos désirs amoureux. Il dit qu'ils se glissent dans nos cœurs ; qu'ils émeuvent nos sens, forment nos affections, versent dans nos âmes les ardeurs des convoitises.
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