XVI.
« Je parlerai, dit Octavius, aussi fortement qu'il me sera possible, mais il faut que nous fâchions tous deux de bannir la calomnie, et de dissiper ces nuages avec le flambeau de la vérité. Et pour commencer, je ne vous cèlerai point d'abord que vous avez montré une si grande incertitude, que je doutais si vous n'aviez qu'une connaissance légère et embrouillée des choses dont vous parliez, ou si vous ne vous étiez point égaré ; car vous avez dit tantôt que vous croyiez aux dieux, tantôt que vous ne saviez qu'en croire, comme si par cette ambiguïté vous eussiez eu envie d'éluder notre réponse. Mais je ne puis croire cela de Cecilius, ces petites finesses sont trop éloignées de sou esprit, et s'il a de la subtilité elle est innocente. C'est plutôt qu'il fait comme ceux qui ne savent pas bien le chemin; aussitôt qu'ils en trouvent plusieurs ils s'arrêtent, parce qu'ils ne peuvent croire qu'ils soient tous bons, et qu'ils n'ont pas l'assurance de choisir : de même, celui qui ne sait pas la vérité demeure court à la première difficulté qui se présente, et change autant de fois d'opinion qu'il trouve de raisons contraires. Il ne faut donc pas s'étonner si Cecilius se trouve agité et chancelant en cette rencontre ; mais je lui veux apprendre la vérité afin qu'il ne flotte plus dans l'incertitude comme auparavant. Or, comme il ne peut souffrir que des gens sans lettres et de pauvres ignorants, comme il nous appelle, disputent des choses divines, il faut qu'il sache que tous les hommes sont nés raisonnables, sans distinction d'âge, de qualité, ni de sexe, et qu'ils ne doivent point leur sagesse à la fortune, mais à la nature ; que même les philosophes et les autres célèbres inventeurs des arts et des sciences ont été regardés comme de la lie du peuple et des ignorants, avant que d'avoir fait paraître leur esprit dans leurs ouvrages, tant il est vrai de dire que les riches, idolâtres des trésors, considèrent plus l'or que le ciel, et que ce sont des pauvres comme nous qui ont découvert la sagesse, et qui l'ont montrée aux autres. De sorte que l'esprit ne vient pas avec les biens, et n'est pas le fruit de l'étude, mais que c'est un avantage de la naissance. Il ne faut donc pas se plaindre ni se mettre en colère, de voir les hommes s'enquérir des choses divines, et vouloir en dire ce qui leur en semble; on ne doit pas regarder à la qualité de celui qui parle, mais à la qualité des paroles. La vérité même est d'autant plus visible, que le discours est plus dépourvu d'ornement, parce qu'elle n'est point déguisée par l'artifice de l'éloquence, mais demeure en sa naïveté, comme elle doit être pour être la règle du bien et du mal.
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