VI.
« Puisque donc les mouvements de la nature sont incertains, ou que nous sommes sous l'empire de la fortune, combien n'est-il pas plus raisonnable et plus juste de conserver la discipline de ses ancêtres, de suivre les religions que nos pères nous ont laissées, et les dieux qu'ils ont adorés et avec lesquels nous avons été familiarisés dès notre jeunesse, sans entreprendre de juger de choses si hautes. Ne vaut-il pas mieux en croire ces premiers hommes qui, étant venus en des siècles moins corrompus et comme à la naissance du monde, ont mérité de trouver des dieux plus favorables, et de vivre même sous leur conduite; car nous voyons que toutes les provinces, les villes et les empires, ont des religions et des cérémonies qui leur sont propres, et qu'ils adorent des dieux de leur pays : comme les Éleusiniens, Cérès; les Phrygiens, Cybèle ; les Epidauriens, Esculape ; les Chaldéens, Bel; les Syriens, Astarté ; les Scythes, Diane ; les Gaulois, Mercure : mais les Romains les adorent tous, et c'est par là que leur puissance s'est accrue, qu'ils se sont rendus les maîtres du monde et qu'ils ont poussé leur empire au delà des bornes du soleil et de l'Océan. C'est en montrant une vaillance religieuse, en remplissant leur ville du service des dieux, de vierges chastes, d'un grand nombre de prêtres et de cérémonies ; en vénérant les dieux irrités lorsque d'autres ont vomi contre eux des blasphèmes, et cela au moment où Rome était saccagée et qu'il ne leur était plus resté que le Capitole; en ne craignant point, pour la célébration de leurs mystères, de passer sans armes au travers des Gaulois, étonnés de la hardiesse de leur zèle ; en adorant encore des dieux vaincus, au moment même où leurs ennemis ont pris leur ville et font sentir l'insolence de la victoire ; en cherchant des dieux par toute la terre, pour les honorer et leur donner des temples dans Rome ; en dressant même des autels aux mânes et aux divinités inconnues ; c'est en un mot en adorant les dieux de tous les peuples, qu'ils sont devenus les rois de tous les peuples. Cette dévotion s'est toujours conservée parmi eux, et s'est accrue avec le temps ; car l'âge apporte je ne sais quel respect aux temples et aux choses saintes, et plus l'origine en est obscure et incertaine, plus ils sont révérés.
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