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Vouloir pour les autres tous les biens qu'on désire pour soi-même,et ne leur vouloir pas les maux que soi-même on redoute, voilà la règle de l'amour1, telles sont les dispositions que l'on a pour tous les hommes: car il ne faut faire de mal à personne, « et l'amour du prochain ne commet jamais l'iniquité2. » Voulons-nous donc être invincibles? Aimons même nos ennemis, c'est le précepte divin3. Car l'homme n'a point en lui cette force que rien ne peut vaincre. Il la trouve dans l'immuable loi qui rend libre quiconque lui est soumis. C'est ainsi que rien ne peut lui ravir ce qu'il aime et cela suffit pour rendre un homme invincible et parfait. Si l'on n'aimait point son semblable comme soi-même, mais qu'on l'aimât comme on aime une bête de somme, une maison de bain, le plumage d'un bel oiseau, ou son joli ramage, c'est-à-dire pour le profit ou le plaisir temporel qu'il peut procurer, on serait l'esclave non pas de l'homme, mais, ce qui est le plus humiliant, d'un vice honteux et détestable, celui de ne pas aimer l'homme comme il mérite d'être aimé; et ce vice conduit, non pas à la fin de la vie, mais à la mort.
