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Ajoutons que l'homme ne doit pas aimer l'homme comme on aime des frères selon la chair, des enfants, une épouse, des parents, des alliés ou même des concitoyens; car cette affection n'est que pour un temps; et nous n'aurions pas ces relations, que la naissance et la mort rendent nécessaires, si fidèle aux préceptes divins et persévérant dans la ressemblance de Dieu, notre nature n'eût pas été condamnée à cette vie corruptible1. Aussi, pour nous rappeler la perfection primitive, l'éternelle vérité nous commande de résister à ces exigences de la chair et du sang: elle a déclaré que personne ne pouvait prétendre au royaume du Ciel, s'il ne savait secouer le joug des affections charnelles2. Et qu'y a-t-il ici d'inhumain? Il est bien plus inhumain de ne pas aimer dans l'homme sa qualité d'homme, pour n'aimer que sa qualité d'enfant; car c'est ne point aimer en lui ce qui regarde Dieu, mais ce qui nous regarde. Et comment s'étonner de ne voir point sur le trône quiconque aime le bien privé et non le bien public? Il faut aimer l'un et l'autre, dira quelqu'un. Il ne faut aimer que l'un d'eux, répond le Seigneur, car la vérité même l'a positivement affirmé : « Personne ne peut servir deux maîtres3. » Il est impossible d'aller où l'on est appelé, sans quitter le lieu où l'on est. Or nous sommes appelés à reprendre notre nature parfaite, telle que Dieu l'a créée avant la chute, et à nous séparer de celle que nous avons méritée par le péché. Il faut donc haïr celle-ci, puisque nous désirons d'en être délivrés.
