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Tant que cet homme est en cette vie, tout lui sert . ses amis pour répondre à leur amitié, ses ennemis pour exercer sa patience; il fait du bien à qui il peut, il a pour tous bonne volonté. Malgré son détachement des biens temporels, il sait en faire un bon usage, consultant les besoins de chacun quand il ne peut s'intéresser à tous dans une égale mesure. S'il parle plus volontiers avec ses familiers, ce n'est point l'effet d'une préférence personnelle, c'est qu'il peut ouvrir son coeur avec plus de confiance et en rencontre plus facilement l'occasion; car il traite les mondains avec d'autant plus d'indulgence qu'il est lui-même moins attaché au monde, et comme il ne peut être utile à tous ceux qu'il aime, il serait injuste s'il ne préférait ceux qui lui sont plus unis. L'union des esprits est plus étroite que l'union formée par les temps et les lieux où l'on naît, et la plus puissante de toutes est celle qui triomphe de tout. Cet homme ne se laisse donc abattre par la mort de personne; car, il le sait, ce qui ne meurt point pour Dieu, le Seigneur des vivants et des morts, ne meurt point non plus pour qui aime Dieu de tout son cœur. La misère des autres ne le rend point malheureux, comme la justice d'autrui ne fait pas la sienne; et comme nul ne peut lui enlever ni Dieu, ni la justice, nul ne peut.lui enlever le bonheur. Les dangers du prochain, ses égarements ou ses douleurs peuvent le toucher quelquefois, mais c'est pour le secourir, le reprendre ou le consoler, jamais pour en être bouleversé.
