CHAPITRE X. NE SAVOIR QUE JÉSUS-CHRIST. FAUSSE DISTINCTION SUR LES DEUX PRÉCEPTES DE L'AMOUR.
15.
On peut faire le même raisonnement sur le passage suivant de Saint Paul, cité également dans cette controverse : «J'ai estimé ne savoir parmi vous que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié 1. » A entendre nos frères, ce texte n'implique qu'une chose, baptiser d'abord et enseigner ensuite les règles de la vie chrétienne. Voilà, ajoutent-ils, ce qui suffisait amplement à cet Apôtre qui pourtant leur disait que : lors même qu'ils auraient dix mille maîtres en Jésus-Christ, ils n'ont pas néanmoins plusieurs pères en Jésus-Christ, puisque c'est lui seul qui les a engendrés en Jésus-Christ par l'Evangile 2. Prétendent-ils que celui qui les a engendrés en Jésus-Christ, quoiqu'il rende grâces à Dieu de ce qu'il n'a baptisé aucun d'eux si ce n'est Crispe, Caïus et Stéphanus 3, ne leur ait enseigné que le crucifiement de Jésus ? Pourquoi ne pas ajouter qu'en les engendrant par l'Evangile, il ne leur a pas même appris que Jésus-Christ était ressuscité ? Mais s'il ne leur a prêché que Jésus crucifié, d'où vient qu'il leur a dit : « Je vous ai enseigné avant tout que Jésus-Christ est mort selon les Ecritures 4, » et que selon les Écritures encore « il a été enseveli et qu'il est ressuscité le troisième jour? » S'ils n'entendent pas ainsi le texte et qu'ils prétendent que ces dogmes ne font qu'un avec celui de Jésus crucifié, à la bonne heure; mais qu'ils sachent alors que le mystère de Jésus crucifié renferme une foule d'enseignements, celui-ci surtout : « Notre vieil homme a été crucifié avec Jésus-Christ, afin que le corps de péché soit anéanti et que nous ne soyons plus les esclaves du péché 5. » De là vient encore qu'en parlant de lui-même l'Apôtre dit: « Quant à moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu'en la croix de Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour, moi comme je suis crucifié pour le monde 6. » Qu'ils réfléchissent et qu'ils comprennent comment s'enseigne et s'apprend le mystère de Jésus crucifié ; qu'ils voient bien que, membres de son corps nous sommes nous-mêmes crucifiés au monde sur sa croix ; en d'autres termes, que nous mettons un frein aux désordres de la concupiscence; par conséquent qu'on ne peut souffrir l'adultère ouvertement avoué chez ceux qui sont formés par la croix du Sauveur. L'Apôtre Pierre développe aussi ce mystère de la croix, c'est-à-dire, de la Passion de Jésus-Christ et recommande à ceux qui ont été consacrés par elle de ne plus pécher. Il s'exprime ainsi: « Puisque Jésus-Christ a souffert la mort selon la chair, armez-vous de cette pensée, que quiconque est mort selon la chair, a cessé de pécher, en sorte que durant tout le temps qui lui reste à vivre dans la chair, il ne vit plus selon les passions des hommes, mais d'après la volonté de Dieu 7, » et ta suite, où il montre, d'après ce principe, que pour appartenir à Jésus crucifié, c'est-à-dire, ayant souffert dans sa chair, il faut crucifier dans son corps les désirs de la chair et conformer sa conduite à l'Evangile.
16.
Dois-je ajouter qu'ils voient une preuve à l'appui de leur opinion dans les deux préceptes qui contiennent, selon le Seigneur, la Loi et les Prophètes ? Comme il est dit : « Voici le premier. commandement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit. Et voici le second qui est tout semblable au premier: Tu aimeras ton prochain comme toi-même 8, » ils croient que le premier, où l'on prescrit d'aimer Dieu, s'applique aux catéchumènes, tandis que le second, qui semble avoir trait aux rapports de la société humaine, comment à ceux qui ont reçu le baptême. Ils ne songent plus qu'il a été écrit : « Si tu n'aimes pas ton frère que tu vois, comment peux-tu aimer Dieu que tu ne vois pas 9? » et dans la même Epître de Jean : « Si quelqu'un aime le monde, l’amour du Père n'est pas en lui 10. » Or toutes les turpitudes d'une conduite infâme ne se rattachent-elles pas à. l'amour du monde? Par conséquent le premier commandement, qui ne concerne selon eux que les catéchumènes, ne peut s'observer indépendamment des bonnes moeurs. Je ne veux pas insister davantage; à les bien examiner, ces deux préceptes sont unis par un lien si étroit, que l'amour de Dieu ne peut se rencontrer chez celui qui n'aime pas son prochain, ni l'amour du prochain, chez celui qui n'aime pas Dieu. Mais ce serait sortir de la question que d'insister plus longtemps sur ces deux commandements.
