CHAPITRE XXI. CONDUITE DES APOTRES. — LES JUIFS NE SESONT-ILS PERDUS QUE PAR LEUR INCRÉDULITÉ ? — LE ROYAUME DU CIEL, SOUFFRE VIOLENCE.
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Mais, objecte-t-on encore, parmi les trois mille hommes qui furent baptisés le même jour par les Apôtres, ou dans la multitude des fidèles auxquels Paul a annoncé l'Evangile depuis Jérusalem jusqu'aux confins de l'Illyrie 1; il a dû se rencontrer des hommes et des femmes unis ensemble au mépris (le la foi conjugale : l'Apôtre devait en ce cas établir une règle destinée à guider les Eglises et décider qu'on devait refuser le baptême à tous ceux qui n'auraient pas renoncé à l'adultère. — N'est-il pas aisé de rétorquer cet argument en demandant qu'on cite le nom d'un seul homme admis au baptême, malgré ses liaisons criminelles ? D'autre part n'est-il pas impossible d'énumérer les fautes particulières de chaque individu ? Ce calcul serait interminable et fort inutile, puisque la règle établie par Pierre dans sa longue exhortation à ceux qui devaient être baptisés: « sauvez-vous de cette génération perverse 2, » suffit par son universalité. Car peut-on douter que la corruption du ;monde n'embrasse à la fois l'adultère et ceux qui s'obstinent dans cette iniquité. En suivant ce principe, il faudrait également soutenir qu'il a pu se rencontrer dans cette multitude de fidèles répandus chez toutes les nations, des prostituées, malheureuses qu'aucune Eglise n'a jamais admises avant de les avoir tirées de leur infâme métier, et que l'Apôtre aurait dû fixer les conditions auxquelles on pouvait les admettre ou les exclure. Mais on peut conclure du moins au plus : Les publicains qui se présentèrent au baptême de Jean reçurent ordre de ne pas exiger au delà de ce qui était convenu 3; je serais fort surpris que l'adultère fut autorisé chez ceux qui se présentent au baptême de Jésus-Christ.
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On cite encore les Israëlites dont la ruine complète vient, non des crimes énormes qu'ils ont commis, non du sang des prophètes qu'ils ont répandu tant de fois, mais de l'incrédulité qui leur a fait méconnaître le Christ. On oublie que le péché des Juifs n'est pas seulement d'avoir renié le Christ, mais de l’avoir immolé : leur crime tient de la barbarie autant que de l'incrédulité c'est une iniquité autant qu'un manque de foi. Or ce double péché ne se rencontre pas chez celui qui a la foi en Jésus-Christ, non la foi morte qui n'est pas étrangère même aux dénions 4, mais la foi de la grâce qui opère par la charité 5.
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Voilà la foi que désigne ce passage : « Le royaume des cieux est au dedans de vous 6. » Car ceux-là seuls le ravissent qui obtiennent par la vivacité de la foi l'Esprit de charité ; car la charité renferme toute la loi 7, et séparée d'elle, la loi n'est plus qu'une lettre morte qui rend coupable du crime même de prévarication. On se tromperait donc si on croyait que cette parole : « Le royaume des cieux souffre violence et les violents le ravissent 8, » signifie que les méchants obtiennent parla vivacité de leur foi et malgré l'indignité de leur conduite le royaume des cieux : elle nous enseigne seulement que l'accusation de prévarication sous le coup de laquelle nous laissait la loi, je veux dire, la lettre sans l'esprit, tombe par la vertu de la foi dont la vivacité nous fait obtenir le Saint-Esprit: par lui, la charité se répand dans nos coeurs 9, et la loi s'accomplit moins par crainte du châtiment que par amour de la justice.
