CHAPITRE XV. PASSAGE DIFFICILE ET MAL COMPRIS DE L’APÔTRE. RÉFUTATION DE CEUX QUI CROIENT QUE LA FOI SANS LES OEUVRES SERT, AU SALUT.
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Il faut peser avec attention le sens qu'on doit attacher à ce passage de l'Apôtre fort difficile à comprendre : « Personne ne peut établir d'autre fondement que celui qui à été déjà posé et qui n'est autre que Jésus-Christ. Si quelqu'un bâtit sur ce fondement de l'or, de l'argent, des pierres précieuses ou du bois, du foin, de la paille, la qualité de son ouvrage sera révélée. Le jour du Seigneur la manifestera, le feu en fera le discernement et montrera ce que vaut l'ouvrage de chacun. Si l'ouvrage qui on aura surajouté au fondement résiste aux flammes, on recevra une récompense : mais si l'ouvrage est consumé, on sera privé de salaire; « on sera néanmoins sauvé, mais comme en passant par le feu 1.» D'après quelques-uns, ceux qui élèvent sur ce fondement un édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses, représentent les chrétiens qui ajoutent les bonnes oeuvres à la foi, tandis que ceux qui n'élèvent qu'un édifice de paille, de foin et de bois, désignent les pécheurs qui, tout en ayant la foi, font le mal; ils infèrent de là qu'on peut expier ses fautes par les peines du purgatoire et obtenir le salut éternel par la vertu même du principe qui a servi de fondement aux actes.
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Si cette interprétation est exacte, nous reconnaissons que nos adversaires sont guidés par une charité sublime, quand ils pressent d'admettre au baptême pêle-mêle les débauchés et les concubines qui, au mépris du commandement de Jésus-Christ, cachent leur commerce sous le voile du mariage, que dis-je? les prostituées, opiniâtrement attachées à leur infâme trafic, et que l'Église la plus relâchée n'a jamais admises dans son sein avant de les avoir tirées de leur honteux métier. Ce principe admis, je ne vois plus à quel titre on pourrait repousser ces créatures, Car, qui ne serait heureux devoir qu'après avoir entassé sur le fondement sacré le bois, le foin et la paille, elles pourraient se purifier par le supplice plus ou moins prolongé du feu, au lieu d'être condamnées à la mort éternelle?
Mais en même temps il faut taxer d'erreur ces principes si clairs et si peu équivoques: « Quand j'aurais une foi assez parfaite pour transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien; » ou bien : «A quoi servira, mes frères, de dire qu'on a la foi si on n'a pas les oeuvres ? La foi peut-elle sauver un tel homme ? » Il faudra encore réputer erroné ce passage: « Ne vous y trompez pas: Ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les voleurs, ni les avares, ni les adultères, ni les efféminés, ni les sodomites, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs du bien d'autrui, ne seront jamais héritiers du royaume de Dieu;2» et cet autre : « Les oeuvres de la chair frappent tous les yeux : on appelle ainsi la fornication, l'impureté, l'impudicité, l'adultère, l'idolâtrie, les maléfices, les inimitiés, les jalousies, les animosités, les querelles, les divisions, les hérésies; les envies, les meurtres, les ivrogneries, les débauches et autres crimes semblables, et je vous dis que tous ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume de Dieu 3. » Toutes ces maximes deviennent fausses: car il suffira de croire et d'être baptisé, pour être sauvé par le feu, malgré son impénitence. Tous ces crimes n'empêcheront pas celui qui aura reçu le baptême en Jésus-Christ d'être héritier du royaume de Dieu. Ce passage: « Voilà ce que vous avez été, mais avez été purifiés 4, »n'aura plus aucune vérité, puisque ceux qui auront été purifiés resteront souillés des mêmes vices. Tout sera creux dans cette parole de Pierre. « C'était une figure, (l'arche de Noé) à laquelle répond maintenant le baptême, lequel consiste non à purifier la chair de ses souillures, mais à garder une conscience pure 5. » Car, ils auront beau avoir une conscience coupable, chargée de tous les crimes et de toutes les infamies dont la pénitence n'aura pas effacé les souillures, le baptême les sauvera : la foi , dont le baptême établit le fondement, assurera leur salut; ils suffira qu'ils traversent le feu. Je ne comprends plus pourquoi le Seigneur a dit: « Si tu veux obtenir la vie, garde les commandements » et a rappelé tous les principes de la morale; s'il est possible d'obtenir la vie, sans observer ces règles, par la seule vertu de la foi, qui pourtant est morte sans les oeuvres 6. Quelle vérité peut-il y avoir désormais dans cette parole qu'il doit adresser un jour aux méchants placés à sa gauche : « Allez au feu éternel, qui a été préparé à Satan et à ses anges? » Car,il ne leur reproche pas ici leur incrédulité, mais leur existence vide , de bonnes oeuvres. Pour que personne ne se flatte d'obtenir la vie éternelle par la foi qui est morte sans les oeuvres, il a soin de dire qu'il séparera les unes d'avec les autres les nations qui obéissaient aux mêmes pasteurs, preuve évidente que ceux qui lui répondront alors: « Seigneur quand est-ce que nous vous avons vu en butte à toutes ces souffrances sans vous assister? » seront ces chrétiens qui, tout en croyant en lui, ont négligé les bonnes oeuvres, dans l'idée qu'une foi morte suffisait pour conduire à la vie éternelle.
Quoi? le feu éternel sera le partage de ceux qui n'ont point été miséricordieux, et il ne s'ouvrira pas pour ceux qui ont ravi le bien d'autrui et se sont traités eux-mêmes sans miséricorde en détruisant dans leur coeur le temple du Saint-Esprit! A quoi servent donc les oeuvres de miséricorde, si l'amour n'en est pas le principe? car, dit l'Apôtre, « quand je distribuerais tous mes biens « aux pauvres, si je n'ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien 7. »Peut-on aimer son prochain comme soi-même, si on ne s'aime pas soi-même? « Celui qui aime l'iniquité, hait son âme 8. » L'on ne saurait ici prétendre, avec certaines personnes qui sont dupes de leur imagination, que le feu, non le supplice, durera éternellement. Elles flattent leurs adeptes de l'espérance qu'ils se sauveront à travers le feu éternel et qu'il leur suffira d'avoir eu la foi morte pour échapper à la flamme. Dans leur pensée, le feu sera éternel, mais il ne les dévorera pas éternellement. Mais le Seigneur a prévu cette erreur dans sa sagesse souveraine, en résumant sa doctrine par ces mots: «Et ceux-ci iront dans le supplice éternel, « les justes dans la vie éternelle 9. » Le supplice sera donc éternel comme le feu, et il est réservé, selon le témoignage de la Vérité elle-même, à ceux qui auront eu la foi sans y joindre les oeuvres.
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Tous ces passages et mille autres, que l'on rencontre dans toute la suite des Ecritures, sans la moindre équivoque, sont-ils faux? Alors on aura raison d'entendre que la combustion du bois, du foin, de la paille signifie le feu destiné à purifier ceux qui ont gardé la foi en Jésus-Christ sans y ajouter les bonnes oeuvres. Au contraire sont-ils aussi vrais que clairs et précis? Il faut alors chercher un nouveau sens dans les paroles de l'Apôtre et ranger ce passage parmi les vérités difficiles à entendre dans ses Epîtres, comme le reconnaît sa! nt Pierre, sans les faire servir à sa propre perte ni inspirer, malgré les témoignages les plus clairs de l'Ecriture, une aveugle sécurité sur leur salut à ces pécheurs qui, s'attachant opiniâtrement à leurs désordres, refusent de se purifier et de se convertir par la vertu de la pénitence.
