CHAPITRE VII. UNE FEMME QUI, SANS LE SAVOIR, À ÉPOUSÉ UN HOMME DÉJA MARIÉ, DOIT-ELLE ÊTRE TÉNUE POUR ADULTÈRE?
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Mais, objectent-ils, si une femme épouse à son insu un homme marié ? — Eh bien! ou elle ignorera toujours cette bigamie, et dès lors elle ne sera jamais adultère ; ou elle en sera instruite, et elle deviendra adultère, dès l'instant quelle entretiendra sciemment un commerce illégitime. C'est ainsi que, d'après le code rural, on est réputé à juste titre possesseur de bonne foi tait qu'on est à son insu le détenteur du bien d'autrui; mais du moment qu'on retient sciemment la propriété d'autrui, on est réputé possesseur de mauvaise foi et on mérite la qualification d'injuste. Loin de nous, je ne dis pas la compassion toute humaine, mais l'illusion qui nous ferait déplorer la censure des infamies comme une atteinte portée au mariage ; surtout quand nous sommes dans la cité de Dieu, sur sa montagne sainte 1, en d'autres termes, dans cette Eglise, où le mariage n'est pas seulement une union, mais encore un sacrement si auguste qu'un mari n'a pas le droit de céder sa femme à un autre, comme autrefois Caton, dans la cité romaine, en donna un exemple qui provoqua, non le scandale, mais les applaudissements publics, au dire des historiens 2. Il serait inutile de continuer cette discussion, puisque nos adversaires n'osent soutenir qu'il n'y a pas de péché en cette matière, encore moins nier qu'il y ait adultère, afin de ne pas se mettre en flagrante contradiction avec le Seigneur lui-même et le saint Evangile. En avançant qu'il faut admettre ces pécheurs au baptême et à la table, du Sauveur, malgré leur résolution hautement avouée de repousser toute censure, que dis-je ? qu'il faut éviter de leur adresser aucun reproche à ce sujet et ajourner leur instruction, afin de les considérer comme de bon grain, s'ils se soumettent à l'observation des règles en se corrigeant de leurs fautes, et de les tolérer au même titre que l'ivraie, s'ils sont rebelles; en avançant, dis-je, cette opinion, on montre assez qu'on n'est pas disposé à défendre de pareils égarements ou à les taxer de légèretés et de peccadilles. Et quel est le chrétien, animé d'une sincère espérance, qui consentirait à ne pas flétrir l'adultère ou à, l'atténuer?
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On croit cependant avoir déduit des saintes Ecritures la règle qui apprend soit à corriger soit à tolérer ces fautes dans le prochain, quand on a cité l'exemple des Apôtres; on produit quelques passages de leurs lettres où l'on remarque en effet qu'ils ont initié aux mystères de la foi avant d'enseigner les règles de la morale. On veut en conclure qu'il faut se borner à transmettre aux catéchumènes le principe de la foi et ne donner qu'après le baptême les instructions capables de réformer les moeurs. Eh quoi! ont-ils lu quelques lettres des Apôtres adressées, les unes à ceux qui se disposaient à recevoir le baptême, exclusivement consacrées à la question de foi; les autres, à ceux qui étaient baptisés, sans autre objet que des préceptes pour éviter les péchés et pour régler les moeurs ? Or, s'il est avéré que leurs lettres sont adressées à des chrétiens déjà baptisés, pourquoi contiennent-elles tout ensemble une exposition du dogme et de la morale ? Irait-on jusqu'à dire qu'il faut scinder cet enseignement avant le baptême et le communiquer ensuite dans son ensemble? Si cette conséquence est absurde, il faut bien reconnaître que les Apôtres, dans leurs lettres, ont imprimé ce double caractère à leur enseignement: si d'ordinaire ils ont initié à la foi, avant d’exposer les règles de la morale, c'est que la foi précède nécessairement dans l'homme la vie honnête. Car toute bonne action accomplie par l'homme ne mérite au fond cette qualification qu'autant qu’elle s'attache à la piété qui a Dieu pour objet. Si, quelques personnes poussaient la simplicité et l'ignorance jusqu'à croire que.les Apôtres ont adressé ces lettres aux catéchumènes, elle seraient forcées de reconnaître qu'il faut simultanément exposer à, ceux qui se préparent au baptême le dogme et les règles morales qui en découlent: autrement leur argumentation aurait pour, conséquence rigoureuse (558) de nous condamner à lire aux catéchumènes le commencement des lettres où les Apôtres exposent le dogme, aux fidèles, la fin, où ils retracent les devoirs de la vie chrétienne. Rien ne serait plus déraisonnable qu'une telle prétention.
Ainsi on ne peut tirer des lettres des Apôtres aucune preuve à l'appui de l'opinion selon laquelle le baptême devrait être conféré sans autre titre que la foi, et les instructions morales, remises après le baptême, sous prétexte qu'au début de leurs lettres les Apôtres ont insisté sur le dogme et ont fini naturellement par exhorter les fidèles à bien vivre. Car, bien que ce double enseignement soit, l'un au début, l'autre à la fin, il faut souvent le transmettre dans son ensemble aux catéchumènes comme aux fidèles, à ceux qui se disposent an baptême comme à ceux qui l'ont reçu, pour les instruire on pour ranimer leur souvenir, pour leur apprendre à confesser la foi ou les y confirmer: ainsi l'exige la saine et exacte doctrine. Qu'on ajoute donc à la lettre de Pierre, à celle de Jean, dont on cite quelques témoignages, les lettres de Paul et des autres Apôtres: il n'y faudra voir que leur méthode d’exposer le dogme et d'y subordonner la morale; méthode que j'ai fort clairement exposée si je ne me trompe.
