CHAPITRE XVI. VRAIE DOCTRINE SUR LA FOI ET LES OEUVRES. — LE JEUNE HOMME RICHE. — FOI DE LA CHANANÉENNE.
27.
On va sans doute m'arrêter ici 'et me demander quel est le sens que j'attache à ce passage de l'apôtre saint Paul, et quelle en est la véritable interprétation. J'aimerais mieux, je l'avoue, que mon rôle se bornât à recueillir, de la bouche de personnes plus éclairées et plus judicieuses une explication capable de concilier, avec ce passage tous les textes d'une vérité incontestable que j'ai cités ou que j'aurais pu citer plus haut,et qui prouvent, par le témoignage irrécusable des Ecritures, que la foi qui sauve est exclusivement celle qui, d'après la définition de l'Apôtre, opère parla charité 1, tandis que, si elle n'est pas accompagnée des oeuvres, la foi est impuissante à sauver avec ou sans le concours du feu. Car, si elle opère le salut avec le concours du feu, elle a réellement par elle-même la vertu de sauver ; or il a dit clairement et sans restriction: « A quoi sert-il de dire qu'on a la foi, si on n'a pas les oeuvres ? La foi peut-elle sauver seule ? » Cependant je vais exposer le plus brièvement possible la manière dont j'interprète ce texte si difficile à comprendre ; on n'oubliera pas que j'aimerais mieux, comme je viens d'en faire l'aveu., entendre des théologiens plus éclairés que moi discuter ce passage.
Le fondement de l'édifice élevé par un sage architecte, c'est Jésus-Christ ; ce principe n'a pas besoin de démonstration: car, selon la parole expresse de l'Apôtre, « personne ne peut jeter d'autre fondement que celui qui a été établi et qui n'est autre que Jésus-Christ. » Par Jésus-Christ il faut entendre évidemment la foi en Jésus-Christ, puisqu'il habite dans nos coeurs par la foi, selon les expressions du même Apôtre 2. Or, cette foi nécessaire en Jésus-Christ n'est autre que la foi agissant par la charité, comme la définit encore l'Apôtre. Car il serait insensé de prendre pour fondement cette sorte de foi qui s'impose aux démons eux-mêmes, les fait trembler et leur arrache l'aveu que Jésus est le Fils de Dieu. Voudrait-on prendre pour la foi, non la croyance que féconde la charité, mais l'aveu qu'arrache la crainte ? Donc, c'est la foi en Jésus-Christ, la foi qu'inspire la grâce chrétienne, et que la charité rend féconde en bonnes oeuvres, qui est être que le fondement du salut pour tous les hommes. Que faut-i1 maintenant entendre par l'édifice d'or, d'argent, de pierreries, ou de bois, de paille et de foin élevé sur ce fondement ? J'ai peur de donner, en approfondissant trop le texte, une explication plus obscure que le texte lui-même ; cependant je vais essayer, avec l'aide de Dieu, d'exposer mon sentiment avec toute la précision et toute la clarté dont je suis capable.
N'avez-vous pas sous les yeux celui qui demanda au Principe même du Bien, le bien qu'il devait accomplir pour posséder la vie éternelle ? Il apprit qu'il devait garder les commandements, s'il voulait conquérir le bonheur éternel ; et, comme il demandait encore quels étaient les commandements, il lui fut répondu : « Tu ne tueras point; Tu ne commettras point d'adultère ni de vol ; Tu ne porteras pas de faux témoignage ; Honore ton père et ta mère ; Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » En agissant ainsi sous l'inspiration de la foi en Jésus-Christ, il aurait eu manifestement la foi qui opère par la charité. Car comment aimer le prochain comme soi-même, sans avoir reçu le don.de l'amour de Dieu, véritable;principe de l'amour de soi-même? Mais s'il est observé ensuite ce qu'ajoute Notre-Seigneur : « Veux-tu être parfait? Vends tous tes biens, donne-les aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens et suis-moi 3; » il aurait bâti sur ce fondement un édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses; car toutes ses pensées, n'ayant plus pour objet que les choses divines, auraient été consacrées à plaire à Dieu, et ce sont ces hautes pensées que figurent, à mon sens, l'or, l'argent, les pierreries. Mais, comme il était attaché par une affection toute charnelle à ses richesses, il aurait en vain fait de ses biens d'abondantes aumônes, évité la fraude et le larcin pour grossir ses trésors, résisté à toutes les tentations du crime et du déshonneur pour ne pas les voir s'amoindrir ou s'épuiser; eu vain il ne se serait jamais écarté du principe inébranlable qiü lui servait de fondement; dans cette passion toute mondaine qui l'empêchait de renoncer sans regret à sa fortune, il n'aurait élevé sur le fondement solide qu'un édifice de bois, de foin, de paille, surtout, s'il avait eu une épouse qui l'aurait entraîné, pour lui plaire, à ne songer qu'aux choses du monde dans l'intérêt de sa vanité. Ne peut-on se résoudre à perdre sans regret ces biens auxquels on ne s'attache que par un sentiment tout charnel ; les possédât-on en prenant pour fondement la foi qui agit sous l'impulsion de la charité; ne mit-on jamais, par calcul ou par avarice, son or au-desssus de ses croyances si leur perte afflige comme un sacrifice , on n'obtiendra le salut qu'en traversant la peine cuisante du feu. On est d'autant moins exposé à ce supplice et à ces regrets qu'on s'attache moins aux richesses ou qu'on les possède comme ne les possédant pas ; tombe-t-on pour les conserver ou les acquérir dans l'homicide, l'adultère, la fornication, l'idolâtrie, et autres crimes aussi monstrueux ? La solidité du fondement n'assure pas le salut à travers la flamme; on aura perdu cet appui et on sera abandonné aux tourments éternels.
28.
C'est donc en vain que, pour prouver l'efficacité de la foi en elle-même, ils allèguent ce passage de l'Apôtre : « Si le mari infidèle se retire, qu'on le laisse aller : car la partie fidèle n'est plus, en pareil cas, sous la servitude du mariage ; 4 » ce qui signifie que la foi seule en Jésus-Christ autorise à quitter une épouse légitime si elle refuse de cohabiter avec son mari parce qu'il est chrétien. — Ici nos adversaires ne prennent pas garde qu'il y aurait toute justice à répudier une lemme qui tiendrait à son mari ce langage . Je ne veux plus être ton épouse, si tu ne m'enrichis plus de tes vols, si tu cesses d'exercer, parce que tu es chrétien, le trafic qui changeait ta maison en un lieu de plaisirs; bref, une femme qui retiendrait son mari dans tous les vices, dans toutes les infamies qu'elle connaissait en lui et dont elle profitait avec plaisir, soit pour satisfaire sa lubricité, soit pour vivre dans l'aisance ou même se parer avec plus de pompe. Assurément l'homme à qui sa femme tiendrait ce langage, ne manquerait pas d'éprouver, s'il avait renoncé par la pénitence aux oeuvres de mort, en s'approchant du baptême, et pris pour fondement de sa conduite la foi agissant par les oeuvres, un attrait.plus vif et plus puissant pour la grâce divine que pour la beauté toute physique de sa femme, et il aurait assez d'énergie pour couper le membre qui le scandalise. Or, cet homme éprouve-t-il, en rompant son mariage, une douleur inspirée à son coeur par un attachement tout charnel pour son épouse ? Voilà la paille que la flamme consumera sans compromettre son salut Au contraire, avait-il une femme comme n'en ayant pas, moins par concupiscence que par un sentiment de miséricorde qui lui faisait désirer de la sauver avec lui et remplir plutôt qu'exiger les engagements du mariage ? La chair ne se révoltera pas en lui, quand il verra se rompre une pareille union ; car, elle ne l'empêchait pas de penser uniquement aux choses du Seigneur et ne lui inspirait qu'un désir, celui de plaire à Dieu 5. Donc, comme il n'a surajouté au fondement que l'or, l'argent, les pierres précieuses, en s'entretenant dans ces pensées toutes divines, il ne perdra rien, et son édifice, auquel la paille ne s'est pas mêlée, ne saurait être consumé par la flamme.
29.
Que les hommes voient dès ici-bas leurs oeuvres s'épurer ainsi, on qu'un jugement après la mort les condamne à cette peine, le sens que j'attache à ce passage n'a rien qui soit en contradiction avec la véritable doctrine : s'il en comporte un autre, qui ne se présente pas à mon esprit, prit, qu'on l'adopte de préférence: Du moins cette interprétation ne nous laisse pas dans la nécessité de dire aux injustes, aux incorrigibles, aux sacrilèges, aux scélérats, aux parricides, aux homicides, aux fornicateurs, aux infâmes, à ceux qui trafiquent des hommes libres, aux menteurs, aux parjures, en un mot à tout ce qui est contraire à la saine doctrine, contenue dans l'Evangile dont Dieu souverainement heureux tire sa gloire 6: croyez seulement en Jésus-Christ et recevez le sacrement de baptême ; lors même que vous ne renonceriez pas à votre vie abominable, vous serez sauvés.
30.
L'exemple de la Chananéenne ne saurait non plus nous induire dans cette erreur. Sans doute le Seigneur a exaucé sa prière après lui avoir dit : « Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens.» Mais le Dieu qui sonde les coeurs avait vu sa conversion intérieure lorsqu'il loua sa foi, aussi ne lui dit-il pas Chienne, ta foi est grande, mais : « O femme ta foi est grande 7. » Il change son expression parce qu'il, voit que les sentiments de la Chananéenne sont changés et que ses reproches ont porté leurs fruits. Je ne saurais penser sans étonnement qu'il préconise en cette femme la foi sans les oeuvres, cette foi que la charité ne seconde pas, cette foi morte qui est le privilège non des chrétiens, mais des démons, comme n'hésite pas à le dire l'apôtre saint Jacques. Ne veulent-ils pas comprendre que la Chananéenne ait vu s'opérer un revirement dans ses passions criminelles sous la parole dédaigneuse et sévère de Jésus-Christ Eh bien ! quand ils rencontreront des gens qui ont la foi sans cacher leur conduite déréglée et vont même jusqu'à l'étaler publiquement et refusent de reconvertir, qu'ils guérissent leurs enfants, s'ils mont la puissance, comme Jésus guérit la fille de la Chananéenne, mais qu'ils n'en fassent pas des membres de Jésus-Christ malgré leur obstination à rester ceux d'une prostituée. Ils ont raison, je le sais, de penser qu'on commet envers l'Esprit-Saint un péché irrémissible, en persévérant dans l'incrédulité jusqu'à la fin de ses jours; mais encore faudrait-il comprendre quel est le caractère de la croyance véritable en Jésus-Christ. Ce n'est pas une foi morte, comme on l'ajustement appelée, et qui se trouve dans les démons eux-mêmes, c'est la foi qui agit par la charité.
