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Qu'il est donc grand ce Dieu qui fait tourner à l'accomplissement de ses desseins éternels le cœur même des méchants, tout en rendant à chacun d'eux selon ses oeuvres ! Roboam, fils de Salomon, avait reçu des vieillards le sage conseil de ne point se montrer dur à l'égard du peuple; mais il méprisa cet avis, répondit avec hauteur et menace à ces vieillards, et s'abandonna tout entier à la direction de ses jeunes courtisans. Cette détermination n'était-elle point parfaitement volontaire de sa part? Et cependant, le schisme des dix tribus qui se choisirent pour roi Jéroboam, ne fut que l'accomplissement d'une menace prophétique lancée par le Seigneur sous le règne précédent. Ecoutons l'Ecriture : « Le roi refusa d'écouter les remontrances du peuple, car le Seigneur l'avait abandonné et devait réaliser la parole qu'il avait formulée par l'organe d'Achias Sélonite , touchant Jéroboam , fils de Natbath1 ». La cause de ce grand événement fut librement posée parla volonté de l'homme, et cependant il ne laissait pas d'être un châtiment direct de la part du Seigneur.
Lisez les Paralipomènes, et dans le second livre vous rencontrerez ces paroles : « Le Seigneur suscita sur Joram l'esprit des Philistins et des Arabes, dont le territoire confinait à l'Éthiopie ; ils se réunirent donc contre le royaume de Juda, le ravagèrent, et se firent une proie de tout ce qu'ils purent trouver dans le palais du roi2 ». Il suit de là que Dieu suscite lui-même des ennemis cour ravager les contrées qu'il juge dignes de ce rigoureux châtiment. Et pourtant dira-t-on que c'est sans aucune volonté de leur part que ces Philistins et ces Arabes vinrent fondre sur le royaume de Juda? ou bien que cette démarche leur fut tellement personnelle qu'il ne serait plus vrai de dire que Dieu suscita leur esprit pour réaliser cette expédition? Tout ce que l'on peut dire, c'est que cette action fut parfaitement volontaire de leur part, et que cependant Dieu lui-même suscita leur esprit pour ce dessein. Ou plutôt, en changeant l'ordre de ces propositions, on doit dire que Dieu suscita leur esprit, et que cependant ils agirent en pleine liberté. En effet, le Tout-Puissant peut déterminer jusque dans le cœur des hommes le mouvement même de leur volonté, de telle sorte qu'il accomplit par eux ce qu'il veut accomplir par eux, et même alors ses oeuvres sont toujours inspirées par la justice la plus rigoureuse.
Recueillons ces paroles d'un homme de Dieu au roi Amasias : « N'appelez point dans vos rangs l'armée d'Israël, car le Seigneur n'est point avec Israël ni avec les enfants d'Ephrem ; si donc vous placez en eux votre confiance, le Seigneur vous mettra en fuite devant vos ennemis, car c'est au Seigneur qu'il appartient, soit de vous secourir, soit de vous faire prendre la fuite3 ». Comment la puissance de Dieu aide-t-elle aux uns dans la guerre en leur donnant la confiance, tandis qu'elle disperse les autres en les frappant de crainte? N'est-ce point parce que le Seigneur fait tout ce qu'il veut au ciel et sur la terre4, et même jusque dans le cœur des hommes? En effet, nous lisons un peu plus loin : « Maintenant restez dans votre demeure. Pourquoi provoquez-vous au mal et tombez-vous, et Juda avec vous5 ? » L'Ecriture ajoute : « Amasias n'écouta point ce conseil; car le Seigneur avait résolu de le livrer entre les mains de ses ennemis, parce que lui et son peuple avaient adoré les dieux d'Edom6 ». Pour punir le crime d'idolâtrie et exercer contre lui une trop juste vengeance, Dieu agit dans son cœur de telle sorte que ce malheureux prince refusa d'écouter le conseil qui lui était donné, et se lança dans une guerre où il devait périr, lui et toute son armée.
Le Seigneur nous dit par son prophète Ezéchiel: « Si le Prophète se trompe et parle, moi, le Seigneur, j'ai séduit ce Prophète ; j'étendrai ma main sur lui, et je l'exterminerai du milieu de mon peuple7 ». Le livre d'Esther nous raconte la vie d'une femme israélite devenue sur la terre de l'exil l'épouse d'un roi étranger, Assuérus. Après l'ordre porté par ce roi d'exterminer tous les Juifs dans toutes les parties de l'empire, Esther comprit que c'était pour elle un devoir d'intercéder en faveur de ce peuple, et d'adresser à Dieu de ferventes prières; ne fallait-il lias qu'elle fût sous le coup d'une impérieuse nécessité, pour oser se présenter devant le roi, malgré la défense la plus formelle8? Maintenant écoutons l'Ecriture : « Tel le regard d'un taureau furieux, tel celui que le roi jeta sur elle; la reine fut saisie de crainte, son front devint pâle et livide, et s'affaissant sur elle-même, elle se courba sur la tête de l'esclave qui la précédait; mais Dieu changea le cœur du roi, dont l'indignation lit place tout à coup à la douceur la plus touchante9 ».
Nous lisons dans les Proverbes de Salomon : « Tel le mouvement de l'eau, tel le cœur d'un roi dans la main de Dieu ; il l'inclinera selon sa pleine volonté10 ». Dans le psaume cent quatrième, la conduite du Seigneur à l'égard des Egyptiens nous est ainsi dépeinte : « Le Seigneur changea leur cœur pour y donner place à la haine contre son peuple et à la persécution de ses serviteurs11 ». Venons aux lettres apostoliques. Dans l'épître de saint Paul aux Romains, voici ce que nous lisons : « C'est pourquoi Dieu les a livrés aux désirs de leur coeur, à l'impureté » ; et un peu plus loin : « C'est pourquoi Dieu les a livrés à des passions honteuses » ; enfin : « Et comme ils n'ont pas fait usage de la connaissance qu'ils avaient de Dieu, Dieu aussi les a livrés à un sens dépravé, en sorte qu'ils ont fait des actions indignes12 ». Dans la seconde épître aux Thessaloniciens nous lisons : « Parce qu'ils n'ont pas reçu et aimé la vérité pour être sauvés, Dieu leur enverra des illusions si efficaces, qu'ils croiront au mensonge , afin que tous ceux qui n'ont point cru la vérité et qui ont consenti à l'iniquité soient condamnés13 ».
