5.
Ceux qui connaissent les divins préceptes n'ont donc plus à apporter pour excuse cette ignorance que tant d'hommes ont coutume d'invoquer en leur faveur. D'un autre côté, ceux mêmes qui ne connaissent pas la loi de Dieu ne doivent pas conclure qu'ils n'ont aucun châtiment à craindre, « car ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi. quant à ceux qui ont péché dans la loi, ils seront jugés par la loi1». Je ne crois pas cependant que, dans sa pensée, l'apôtre ait voulu dire que ceux qui pèchent sans connaître la loi, aient à craindre des châtiments plus rigoureux que n'en subiront ceux qui pèchent avec une pleine connaissance de la loi. Sans doute il semble plus grave de périr que d'être jugé ; mais n'oublions pas que l'Apôtre parle des Gentils et des Juifs; ceux-là n'ont pas reçu la loi et ceux-ci la possèdent. Or, oserait-on soutenir que les Juifs, qui pèchent dans la loi, ne méritent pas de périr, pour avoir refusé de croire en Jésus-Christ ? Et n'est-ce pas là le sens de ces paroles : « Ils seront jugés par la loi ? » Sans la foi en Jésus-Christ, personne ne peut être sauvé; par conséquent ce sera pour leur perte éternelle que les Juifs seront jugés. D'un autre côté, si la condition de ceux qui ignorent la loi de Dieu est pire que la condition de ceux qui la connaissent, comment donc restera vraie cette parole de l'Evangile : « Le serviteur qui, ne connaissant pas la volonté de son maître, accomplit des oeuvres répréhensibles, sera légèrement battu de verges ; tandis qu'il le sera cruellement celui qui, connaissant la volonté de son maître, se sera rendu coupable2?» Ces paroles du Sauveur ne prouvent-elles pas que c'est un péché plus grave de pécher avec connaissance que de pécher sans connaissance? Toutefois cette distinction n'autorise nullement à alléguer les ténèbres de l'ignorance comme excuse dans le péché. En effet, autre chose est de ne pas savoir; autre chose est de refuser de savoir. Ce qui est répréhensible, c'est la volonté, selon cette parole : « Il n'a pas voulu comprendre dans la crainte de faire le bien3 ». De plus, s'il s'agit, non plus de ceux qui refusent de connaître, mais de ceux qui sont dans l'état de simple ignorance, il est certain que cette ignorance passive ne les exemptera pas des châtiments éternels, lors même que pour eux l'absence de toute foi n'aurait d'autre cause que le malheur de n'avoir jamais appris ce qu'ils devaient croire; cependant les souffrances de l'enfer seront pour eux moins rigoureuses. Ce n'est donc point sans raison qu'il a été dit: «Versez votre colère sur les nations qui ne vous ont point connu4 » ; et encore : «Lorsque Dieu viendra dans la flamme du feu pour punir ceux qui ne connaissent pas Dieu5 ». Toutefois, pour obtenir la véritable, science, avec laquelle personne n'aura plus à dire : Je ne savais pas; je n'ai pas entendu; je n'ai pas compris, il faut le concours de la volonté propre, suivant cette parole : « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet qui sont privés d'intelligence6 » ; et cependant cet état est encore moins criminel que celui qui nous est décrit dans ces autres paroles : « Les paroles ne suffiront pas pour changer le serviteur endurci ; car lors même qu'il comprendrait, il s'obstinerait dans sa désobéissance7». Or,quand l'homme répond : Je ne puis faire ce qui m'est commandé, parce que je suis entraîné par ma concupiscence; ce n'est plus son ignorance qu'il invoque pour excuse, ce n'est plus Dieu qu'il accuse dans son coeur, il reconnaît le mal en soi-même et il en gémit. Et cependant qu'il sache que c'est bien à lui que s'adressent ces paroles de l'Apôtre : « Gardez-vous de vous laisser vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien8». Mais en lui disant : « Gardez-vous de vous laisser vaincre », est ce que l'Apôtre ne proclame pas en lui l'existence du libre arbitre? Vouloir et refuser de vouloir, ne sont-ce pas là les actes constitutifs et essentiels de la volonté?
