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Malgré tout cependant les Pélagiens s'obstinent à soutenir que les hommes ne sont justifiés qu'en vertu de mérites antérieurs, et ils ne veulent pas comprendre qu'une telle doctrine est une véritable négation de la grâce. Mais enfin, s'il s'agit des adultes, cette erreur a encore une certaine raison d'être ; quant aux enfants, c'est autre chose, et je délie ces hérétiques de s'expliquer sur ce point. En effet, ces enfants n'ont absolument aucune volonté de recevoir la grâce, comment donc leur sup. poser des mérites antérieurs ? Souvent même nous les voyons se débattre et pleurer lorsqu'on les baptise et qu'on leur administre les sacrements divins ; une telle conduite, s'ils jouissaient du libre arbitre, serait assurément de leur part un grand péché d'impiété. Et pourtant, malgré cette résistance, ils reçoivent et conservent la grâce, sans qu'on puisse leur attribuer aucun mérite antérieur, autrement la grâce ne serait plus la grâce. Quelquefois même cette grâce est accordée à des enfants d'infidèles, lorsque, par un dessein mystérieux de la Providence, ces enfants tombent, de quelque manière que ce soit, au pouvoir de quelques catholiques ; d'autres fois des enfants d'infidèles n'obtiennent pas cette grâce, par suite de je ne sais quel obstacle qui empêche de venir à leur secours. Tout cela se fait par un dessein mystérieux de Dieu, dont les jugements sont incompréhensibles et les voies impénétrables.
Ecoutez sur ce point les révélations prophétiques de l'Apôtre. C'est des Juifs et des Gentils qu'il écrivait aux Romains, c'est-à-dire aux Gentils : « Comme autrefois vous ne croyiez point en Dieu, et que vous avez ensuite obtenu miséricorde, à cause de leur incrédulité ; de même à présent les Juifs n'ont point cru, afin que vous reçussiez miséricorde, et afin qu'à leur tour ils reçoivent miséricorde. Car Dieu a renfermé tous les hommes dans l'incrédulité, afin de pouvoir exercer sa miséricorde envers tous1». A la vue de ces paroles , saisi d'admiration pour cette dernière sentence aussi vraie que profonde : « Dieu a renfermé tous les hommes dans l'incrédulité, afin d'exercer sa miséricorde envers tous » , faisant pour ainsi dire le mal, afin d'en tirer le bien, il s'écrie: « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables ! » Ne tenant aucun compte de ces jugements incompréhensibles et de ces voies impénétrables, des hommes pervers, toujours prompts à accuser, et incapables de comprendre, reprochaient à l'Apôtre d'avoir dit : « Pourquoi ne ferions-nous pas le mal pour qu'il en arrive le bien2? »
A Dieu ne plaise que l'Apôtre ait tenu ce langage, que lui attribuaient des hommes grossiers, parce qu'ils lui avaient entendu dire: « La loi est survenue pour donner lieu à l'abondance du péché ; mais où il y a eu abondance dû péché, la grâce, a surabondé3 ». Toutefois la grâce a cette efficacité, que le bien se fait par ceux-là mêmes qui ont fait le mal, non pas dans le but de les faire persévérer dans le mal, mais pour leur faire espérer qu'ils obtiendront la récompense de leurs bonnes oeuvres. Ils ne doivent donc pas dire : « Faisons le mal afin qu'il en arrive le bien » ; mais : Nous avons fait le mal, et le bien nous est venu ; maintenant faisons donc le bien , afin que dans le siècle futur nous recevions le bien pour le bien, nous qui sur la terre avons reçu le bien pour le mal. De là cette parole du psaume : « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement4 ». C'est pourquoi le Fils de l'homme n'est pas venu dans le monde, pour juger le monde, mais pour le sauver5: telle est l'oeuvre de la miséricorde; plus tard il viendra juger les vivants et les morts, ce sera l'oeuvre de la justice et du jugement ; quoique cependant, dès ce monde, le salut ne se fasse que par suite d'un jugement occulte. De là ces paroles : « Je suis venu dans ce monde pour juger, afin que ceux qui ne voient pas, voient, et afin que ceux qui voient soient frappés d'aveuglement6 ».
