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Je crois avoir suffisamment discuté contre ceux qui se posent audacieusement en adversaires de la grâce divine qui ne nous laisse notre volonté humaine que pour la rendre bonne de mauvaise qu'elle était. Dans cette discussion, c'est moins ma parole que j'ai fait entendre que celle des divines Ecritures, dont je vous ai cité les oracles les plus évidents sur la matière qui nous occupe. En étudiant avec soin ces oracles sacrés, on reste convaincu que Dieu non-seulement rend bonnes par sa grâce les volontés humaines jusque-là mauvaises, et qu'après les avoir rendues bonnes, il les dirige vers des actes bons et vers la vie éternelle; mais encore qu'il exerce une puissance absolue sur celles de ces volontés qui conservent le sceau du siècle, de telle sorte que, comme il le voudra et quand il le voudra, il les incline soit à recueillir ses bienfaits, soit à subir ses châtiments, et tout cela à son gré et par suite de ses décrets mystérieux, mais toujours justes. En effet, nous voyons que certains péchés sont le châtiment d'autres péchés, comme il y a des vases de colère préparés, dit l'Apôtre, pour la perdition éternelle1. L'endurcissement de Pharaon n'a-t-il pas eu pour cause de montrer la vertu de Dieu sur ce prince malheureux2 ? Telle nous apparaît la fuite des Israélites en présence de leurs ennemis de la ville de Gaï : la crainte les saisit tout à coup et leur inspira de fuir, mais cette crainte elle-même ne fut autre chose que le mode de vengeance que Dieu tira de leurs péchés; de là ce mot du Seigneur à Josué : « Les enfants d'Israël ne purent subsister en présence de leurs ennemis3 ». Que veulent dire ces mots : « Ne purent subsister? » Pourquoi ne se maintenaient-ils point par leur libre arbitre, et pourquoi leur volonté troublée parla crainte leur inspirait-elle de fuir? N'est-ce point parce que Dieu règne sur les volontés des hommes, et que dans sa colère il peut subitement les rendre esclaves de leur crainte ? C'était bien par l'effet de leur propre volonté que les ennemis d'Israël faisaient la guerre au peuple de Dieu, sous le gouvernement de Josué. Et cependant nous lisons dans l'Ecriture : « Le Très-Haut fortifia leur coeur, afin qu'ils engageassent le combat contre Israël, et qu'ils fussent exterminés4 ».
Etait-ce uniquement sous l'inspiration de sa propre volonté, que le malheureux fils de Gémini couvrait David des plus grandes malédictions? Quelle fut la réponse de David alors rempli d'une haute, pieuse et véritable sagesse ? Que dit-il à celui qui voulait frapper l'auteur de ces malédictions? « Qu'y a-t-il de commun entre moi et vous, fils de Sarvia? Laissez-le et qu'il continue à maudire, puisque le Seigneur l'a chargé de maudire David. Et qui donc lui dira : Pourquoi une telle conduite de votre part? » La sainte Ecriture voulant nous faire connaître toute la pensée de David, ne craint pas de se livrer à une sorte de répétition et continue : « David dit à Abessa et à tous ses serviteurs : Voici que mon fils qui est sorti de mon sein cherche à me faire mourir; et le fils de Gémini se joint à la révolte. Laissez-le me maudire, puisque Dieu le lui a dit, et le Seigneur verra mon humilité, et il me comblera de biens à cause des malédictions que je subis en ce jour5 ». Comment donc Dieu commanda-t-il à cet homme de maudire David ? Quel sage nous donnera l'interprétation de cette énigme ? Assurément ce ne fut pas un de ces commandements dont l'accomplissement prouve une louable obéissance; mais la volonté de cet homme était déjà mauvaise par son propre vice, et Dieu, par un décret mystérieux et juste, l'inclina à commettre ce nouveau péché; tel est le sens de ces paroles: « Et Dieu le lui a dit ». Si, dans son action, il n'avait fait qu'obéir à un précepte formel du Seigneur, il serait digne d'éloges plutôt que de mériter un châtiment, et nous voyons par la suite que ce châtiment lui fut infligé.
D'ailleurs nous connaissons le motif pour lequel le Seigneur lui dit de maudire David, c'est-à-dire inclina son coeur mauvais à commettre ce péché : « Afin », dit David, « que le Seigneur voie mon humilité et qu'il me comble de biens à cause des malédictions que je subis en ce jour ». Ce passage nous prouve clairement que Dieu se sert quelque. fois des méchants pour la gloire et l'avantage des bons. C'est ainsi que Judas trahissant son Maître, et les Juifs crucifiant Jésus-Christ, furent les instruments coupables dont Dieu se servit pour opérer notre salut. Et ces crimes ne furent-ils pas l'occasion de tous ces biens qui découlèrent sur les peuples fidèles? Dieu se sert même, et très-justement, du démon pour exercer et éprouver la foi et la piété des bons, non pas qu'il ait lui-même besoin de connaître le résultat de cette épreuve, puisque l'avenir lui est connu, mais cette épreuve peut nous être nécessaire, fût-ce même dans le mode sous lequel elle se présente. N'est-ce point sous l'inspiration de sa propre volonté qu'Absalon conçut le projet qui devait lui être fatal? Et cependant il le conçut, parce que le Seigneur avait exaucé la prière par laquelle David demandait qu'il en fût ainsi. De là cette parole de l'Ecriture : « Le Seigneur ordonna « de renverser l'excellent dessein d'Achitophel, afin de faire retomber tous les maux sur Absalon6 ». Le dessein d'Achitophel était bon, parce qu'il pouvait servir la cause dans laquelle il était engagé, c'est-à-dire la révolte d'Absalon contre son père; et en effet, David pouvait être écrasé, si le Seigneur n'avait empêché la réalisation des plans conçus par Achitophel; et en effet Dieu, agissant sur le cœur d'Absalon, lui inspira de rejeter ces plans et d'en choisir un autre qui ne devait pas réussir.
