II.
Le peu que l'on a trouvé d'hommes capables de réfuter fortement les erreurs dont les peuples étaient prévenus et de défendre solidement notre religion, a donné la hardiesse à quelques-uns d'écrire contre elle. Je ne parlerai point ici de ceux qui l'ont attaquée sans aucun succès dans les premiers temps. Lorsque j'enseignais la rhétorique en Bithynie, et que le temple de Dieu y fut abattu, il se trouva deux hommes qui insultèrent à la vérité persécutée et qui le firent d'une manière où je ne sais s'il y avait plus de cruauté ou plus d'arrogance. L'un des deux faisait profession d'enseigner la philosophie; mais sa vie n'avait rien de conforme à sa doctrine. Il louait la pauvreté et brûlait d'un désir insatiable des richesses. Il faisait des leçons de continence et de tempérance dans son école, et était si fort adonné au luxe qu'il y avait dans ses repas ordinaires une plus grande abondance de mets et une plus grande politesse qu'il n'y en a dans les festins des princes. Sa barbe et son manteau, c'est-à-dire la qualité de philosophe, et ses grands biens, lui servaient comme d'un voile pour couvrir le dérèglement de ses mœurs. La passion qu'il avait de s'enrichir lui faisait, rechercher par de merveilleux artifices l'amitié des juges. Quand il avait acquis dans leur esprit le crédit que mérite la profession dont il était très indigne, il en abusait et pour vendre leurs suffrages à d'autres et pour usurper les terres de ses voisins, sans qu'ils pussent trouver aucun moyen de se garantir de ses violences. Cet homme, dont les mœurs démentaient les sentiments, et dont les sentiments condamnaient les mœurs ; cet homme qui s'accusait plus hautement et qui se condamnait plus rigoureusement que nul autre n'aurait pu le faire, publia trois livres contre la religion chrétienne dans le temps que le peuple fidèle était déchiré par tous les instruments que la fureur des païens avait pu inventer. Il déclare dès le commencement qu'il désire s'acquitter du devoir de sa profession, qui est de retirer les hommes de leur égarement et de les rappeler au bon chemin, c'est-à-dire au culte des dieux qui gouvernent le monde par leur puissance, de peur que ces hommes ne servent de proie à l'artifice et à l'avarice de ceux qui les trompent; qu'il ne pouvait rien entreprendre de si digne d'un philosophe que de présenter la lumière de la sagesse à ceux qui sont dans les ténèbres de l'ignorance, afin non seulement qu'ils obéissent aux édits des princes, mais qu'ils évitent la rigueur dès chrétiens. Il découvre véritablement le motif qui l'a engagé à ce travail par les éloges extraordinaires par lesquels il relève le mérite des empereurs, et par les louanges qu'il leur donne d'avoir rétabli la religion par leurs soins et par leur piété et d'avoir aboli la superstition. Au reste, il a paru tout à fait inepte et ridicule, quand il a voulu combattre notre religion. Ceux d'entre nous à qui la malheureuse condition de ce temps-là ne permettait pas de déclarer le jugement qu'ils portaient de son ouvrage, s'en moquaient au fond de leur cœur, quand ils voyaient la profonde ignorance où il était, et la vanité qu'il avait de promettre d'éclairer les autres, lui qui était dans un déplorable aveuglement; de les conduire, lui qui ne pouvait faire un pas sans tomber ; de les instruire, lui qui n'avait jamais rien appris de solide. Il n'y avait personne qui ne le blâmât d'avoir entrepris cet ouvrage au temps auquel le feu de la persécution était allumé Contre nous, et qui ne dit que c'était un philosophe qui s'accordait au temps et qui flattait les passions injustes des princes. Il fut méprisé comme sa vanité le méritait, et bien loin de se faire aucun mérite de son travail, il n'en rapporta que du blâme.
L'autre traite le même sujet avec beaucoup plus d'aigreur. Il était élevé à la dignité de juge, avait fort contribué à exciter la persécution, et non content d'avoir armé les autres contre nous, il nous combattit par ses écrits. Il composa deux livres, non contre les chrétiens, de peur que l'on ne crût qu'il les déchirait comme des ennemis; mais aux chrétiens, afin que l'on crût qu'il leur donnait de bons avis comme à des amis. Il tâcha de faire voir dans ces deux livres que l'Écriture était toute remplie de faussetés, ce qui fait juger qu'il reconnaissait qu'elle lui était tout à fait contraire. Il en rapporte un si grand nombre de passages et des moins communs, et les examine de telle sorte, que ceux qui ne le connaissent pas, peuvent douter s'il n'avait point fait autrefois profession de notre religion. Que s'il l'avait fait, l'éloquence de Démosthène ne serait pas capable de l'excuser de l'impiété avec laquelle il avait trahi la foi qu'il avait embrassée et les mystères à la participation desquels il avait été admis. Ce n'est peut-être que par hasard que les livres sacrés de l'Écriture sont tombés entre ses mains; car de quelle étrange témérité serait-il coupable s'il eût osé pénétrer la profondeur de cette doctrine que personne ne lui avait expliquée? Nous devons louer Dieu de ce qu'il n'a rien appris par la lecture de ces divins ouvrages, et de ce qu'il n'a rien compris des maximes qu'ils contiennent. Ils sont aussi éloignés de renfermer la moindre contradiction, que cet auteur a été éloigné de suivre la vérité de notre foi. Il a fait de violentes invectives contre Paul, contre Pierre et contre les autres disciples, et les a accusés d'avoir jeté les premiers la semence d'une doctrine remplie de faussetés et de mensonges. Il leur reproche pourtant qu'ils étaient grossiers et ignorants, et que quelques-uns d'entre eux ont vécu de la pêche, comme s'il eût été fâché qu'Aristophane ou Aristarque n'eussent pas été chargés du ministère de la parole divine.
