XXII.
La raison pour laquelle les païens entrent en fureur contre nous et nous tourmentent par toutes sortes de supplices, n'est pas que nous refusons d'adorer les dieux, car il y en a plusieurs autres qui ne les adorent pas non plus que nous; mais c'est que nous disons la vérité, qui est toujours odieuse. Quel jugement pouvons-nous faire d'eux, si ce n'est que la rage qui les transporte leur ôte la connaissance de ce qu'ils font. Ce ne sont pas eux qui nous persécutent, parce qu'ils n'ont en effet aucun sujet d'être en colère contre nos personnes très innocentes et qui ne leur ont jamais fait de mal ; ce sont des esprits impurs qui les possèdent et qui les agitent, qui connaissent la vérité et qui la délestent. Pendant que le peuple de Dieu jouit de la paix, ils sont dans l'inquiétude et dans la crainte ; dès qu'ils se sont emparés du corps de quelqu'un et qu'ils le tourmentent, ils sont exorcisés au nom de Dieu; et aussitôt qu'ils l'entendent prononcer, ils sont saisis de frayeur et de tremblement. Ils s'écrient alors qu'on les bat et qu'on les brûle. Ils confessent ce qu'ils sont, pourquoi ils sont venus, la manière dont ils sont entrés dans le corps qu'ils possèdent, et enfin ils obéissent et se retirent. Les menaces dont les justes les épouvantent et les supplices dont ils les châtient, sont la cause de la haine qu'ils nous portent. Mais parce qu'ils n'ont pas le pouvoir de nous nuire eux-mêmes, ils nous suscitent de violentes persécutions, à dessein ou d'affaiblir notre foi par l'excès de la douleur, ou au moins de nous enlever du monde, afin qu'il n'y ait plus personne qui puisse réprimer leur malice. Je n'ignore pas l'objection que l'on me peut faire, et je sais bien que l'on me peut demander pourquoi ce Dieu unique et indépendant, dont la grandeur et la puissance n'ont point de bornes, permet que ceux qui sont attachés à son service souffrent de si rudes traitements et pourquoi il ne les prend pas sous sa protection. On demandera peut-être encore d'où vient que ceux qui ne lui rendent aucun honneur sont dans la prospérité et dans l'abondance, et d'où vient qu'ils possèdent des richesses, des dignités, des sceptres et des couronnes. Il faut rendre raison de cette conduite, et arracher jusqu'aux moindres semences d'une erreur qui corrompt la plupart des esprits. La forte impression que les biens du siècle, qui ne servent de rien à l'âme, font sur les hommes grossiers et charnels, leur persuade que la piété ne sert de rien, puisque ceux qui en font profession sont dans la pauvreté et dans le mépris, au lieu que ceux qui adorent les idoles ont entre les mains les richesses et la puissance. Ceux qui sont dans un si bas sentiment ne songent pas que l'âme est la principale partie de l'homme; ils ne voient que le corps, qui, étant tendre et palpable, est aussi faible et sujet a la mort. Les richesses, les honneurs, les royaumes et les empires, qui excitent si fort l'admiration et les désirs, ne sont destinés qu'à son usage, ne servent qu'à entretenir ses plaisirs, et sont périssables comme lui ; mais l'esprit, qui est seul tout l'homme, étant invisible, a aussi des biens invisibles, qui sont les vertus, et il n'est pas moins stable, moins durable ni moins éternel que les vertus mêmes.
