VIII.
Ceux qui sont persuadés qu'il n'y a point d'hommes justes sur la terre, ont la justice devant les yeux et ne veulent pas la regarder ; car quel sujet ont-ils de se plaindre continuellement, dans les ouvrages qu'ils font soit en prose ou en vers, de ce qu'elle ne paraît plus sur la terre ? Il ne dépend que de vous d'être gens de bien : pourquoi nous faites-vous de vains portraits de la justice, et pourquoi souhaitez-vous qu'elle descende du ciel dans l'équipage où vous vous la figurez ? Elle est devant vos yeux ; vous la pouvez mettre dans votre cœur. Ne vous persuadez pas que ce soit une entreprise trop difficile et réservée à un autre temps que le vôtre. Ayez seulement de bonnes intentions, et vous verrez revenir le siècle d'or. Vous ne le pouvez rappeler que par le culte que vous rendrez à Dieu. Vous prétendez rétablir la justice sur la terre pendant que l'on y adore les idoles; cela ne se peut faire en aucune sorte, et cela n'a pu même se faire au temps auquel vous avez cru que cela s'était fait, parce que les dieux dont vous adorez les images n'étaient pas nés alors, et que l'on ne pouvait adorer que le Dieu véritable qui commande le bien et qui défend le mal, et qui a pour temple non un édifice bâti de terre et de pierres, mais l'homme qui a été créé à son image. Les ornements de ce temple ne sont pas l'or et les pierreries, mais ce sont les vertus. Apprenez donc, s'il vous reste encore quelques lumières, que le crime et l'injustice des hommes consistent principalement dans le culte qu'ils rendent aux dieux, et que les malheurs dont ils sont continuellement accablés ne procèdent que de l'ingratitude avec laquelle ils ont abandonné l'unique dieu, qui a créé l'univers et qui le gouverne, pour suivre des superstitions extravagantes, et que de la violence qu'ils exercent pour empêcher qu'il ne soit adoré. S'il était seul reconnu, il n'y aurait plus de différends ni de guerres. Les hommes seraient unis par le lien d'une charité indissoluble, parce qu'ils se regarderaient tous comme les enfants du même père. Personne ne dresserait des pièges pour se défaire de son ennemi, parce que chacun connaîtrait la rigueur des châtiments que Dieu, qui pénètre les pensées les plus secrètes et les replis les plus cachés du cœur, a préparés aux meurtriers et aux homicides. Les fraudes et les larcins ne seraient point en usage, parce que tout le monde se contenterait de peu, et préférerait les biens spirituels et éternels aux temporels et aux périssables. On n'entendrait jamais parler ni d'impureté, ni de prostitution, ni d'adultère, parce que personne n'ignorerait que Dieu condamne tous les désirs de la chair lorsqu'ils tendent à autre chose qu'à la génération légitime des enfants. Il n'y aurait point de femmes que la nécessité obligeât à se prostituer, parce que celles qui seraient dans la nécessité trouveraient assez de personnes charitables qui les secourraient dans leurs besoins, et qu'elles ne trouveraient point d'hommes assez brutaux pour vouloir les sacrifier à leur incontinence à l'occasion de leur misère. La terre ne serait pas inondée de tous ces crimes, si tous les hommes conspiraient ensemble pour observer la loi de Dieu, et pour tenir la conduite que tiennent les chrétiens. Le siècle serait véritablement un siècle d'or, où régneraient la douceur, la piété, la paix, l'innocence, l'équité, la modération et la bonne foi. Il ne faudrait point une si prodigieuse diversité de lois pour gouverner les hommes. Celle de Dieu suffirait à elle seule pour cet effet. Il ne serait point nécessaire de les épouvanter par l'horreur des prisons, par la vue des épées nues, par les menaces de châtiment. La sainteté des commandements divins s'insinuerait dans leurs cœurs avec une douceur incroyable, et les porterait à toutes sortes de bonnes œuvres. Les crimes procèdent de l'ignorance qui ôte la connaissance du bien, comme Cicéron l'a reconnu, et comme il l'a remarqué en ces termes dans le Livre des Lois : « Tandis que le monde ne s'entretient que par l'union étroite qui lie les parties qui le composent, les hommes se nuisent par leurs divisions, bien qu'ils n'aient tous qu'une même nature, qu'ils soient tous formés du même sang, descendus du même père, et gouvernés par le même prince. Et s'ils donnaient à cette loi d'union toute l'attention qu'elle mérite, ils mèneraient une vie semblable à celle des dieux. »
L'impiété de l'idolâtrie a causé tous les maux que les hommes se font souffrir les uns aux autres. Les païens n'avaient garde de conserver les sentiments de la piété, après avoir, comme des prodigues et comme des rebelles, renoncé à leur père commun.
