XX.
Que les païens tâchent de concevoir la grandeur du crime qu'ils commettent quand ils se tuent d'eux-mêmes, en rendant un culte souverain aux dénions que Dieu a condamnés à un supplice éternel, et quand ils tuent les autres en les détournant du service de leur créateur, et en empêchant, autant qu'il leur est possible, qu'il n'y ait aucune personne sur la terre qui conserve son innocence et qui regarde le ciel. Que dirai-je de leur misère, si ce n'est qu'ils sont assujettis à des tyrans qu'ils prennent pour des dieux, bien qu'ils ne sachent ni leur nom, ni leur condition, ni leur origine? Ils suivent l'opinion du peuple et s'engagent témérairement dans l'erreur. Quand on leur demande la raison de ce qu'ils croient, ils n'en sauraient rendre aucune, et ils ont recours, à l'autorité de leurs ancêtres, en assurant que c'étaient des hommes d'une rare sagesse qui ont examiné les diverses religions qu'il y avait en leur temps et ont approuvé la meilleure. Ils se dépouillent ainsi eux-mêmes de leur sens, renoncent à l'usage de leur raison, et suivent l'égarement de leurs pères. Voilà comment ils tombent dans une si profonde ignorance qu'ils ne connaissent ni leurs dieux, ni eux-mêmes; plut à Dieu qu'ils se contentassent de se tromper et de s'égarer tous seuls! Mais ils entraînent les autres avec eux, comme si ce leur était une grande consolation d'avoir des compagnons de leurs erreurs. La persécution cruelle qu'ils font éprouver aux gens de bien est un autre effet de la même ignorance qui les aveugle. Ils font semblant d'avoir dessein de leur rendre de bons offices, et de les remettre dans le droit chemin; mais quels moyens emploient-ils pour cet effet? Leur parlent-ils raisonnablement? Ils n'agissent que par violence; ils les menacent des plus cruels supplices. Oh ! le merveilleux et l'étrange aveuglement ! Ceux qui gardent à Dieu la fidélité qu'ils lui doivent, passent pour des gens de mauvais sens et de mauvaise conduite; et les bourreaux qui les tourmentent passent pour des gens de bonne conduite et de bon sens. Le mauvais esprit est-il parmi ceux qui sont déchirés par les plus cruels tourments contre toute sorte de justice et d'humanité, ou plutôt parmi ceux qui traitent les plus innocents avec une barbarie dont il n'y a point d'exemple entre les voleurs les plus injustes, les ennemis les plus implacables et les peuples les plus farouches. S'imposent-ils de telle sorte à eux-mêmes qu'ils confondent entièrement les noms du bien et du mai? Que ne donnent-ils aussi au jour le nom de nuit, et au soleil celui de ténèbres ; car il n'y a pas moins d'impudence à donner aux gens de bien le nom de méchants, aux sages le nom d’insensés, ad justes le nom d'injustes. Que s'ils ont quelque confiance en leurs études ou en leur éloquence, qu'ils s'en servent pour réfuter notre doctrine qu'ils en examinent tous les points. Ils ont intérêt à entreprendre la défense de leurs dieux, de peur que si notre religion continuait à croître, comme elle croît de jour en jour, ils ne fussent abandonnés avec leurs temples. Puisqu'ils ne sauraient remporter aucun avantage sur nous par la violence, et que nous nous fortifions à mesure qu'ils lâchent de nous affaiblir, qu'ils agissent par raison. Que les pontifes, grands et petits, les flamines, les augures, les rois, les sacrificateurs, les prêtres et les ministres de votre religion paraissent; qu'ils nous exhortent à rendre un souverain culte à vos dieux ; qu'ils nous persuadent qu'il y en a plusieurs qui gouvernent le monde par leur providence, qu'ils nous découvrent l'origine de vos mystères, et qu'ils nous apprennent la manière dont ils ont été établis. Qu'ils nous expliquent les récompenses promises a ceux qui les gardent, elles châtiments réservés à ceux qui les violent ; qu'ils nous disent pourquoi les dieux veulent être honorés par les hommes, et à quoi leur servent nos devoirs puisqu'ils possèdent une souveraine félicité; qu'ils nous prouvent toutes ces choses, non par leur propre témoignage, qui n'est pas recevable en cette matière, mais par une autorité divine, comme nous avons accoutumé de faire quand nous établissons les vérités de la religion chrétienne. Il ne faut pas user de force puisque la religion doit être libre. Il faut employer les paroles plutôt que les coups, afin que ceux qui l'embrasseront l'embrassent volontairement. Qu'ils se servent de toute la subtilité de leur esprit; qu'ils proposent leurs raisonnements : nous sommes prêts à les écouter. Mais tant qu'ils garderont le silence, nous ne leur ajouterons aucune foi, comme nous n'avons aucune déférence pour eus, quand ils prétendront nous réduire par la violence des tourments. Qu'ils nous imitent, et qu'ils apportent des preuves de tout ce qu'ils soutiennent ; car nous n'usons point de caresses, comme ils nous en accusent, pour attirer à notre religion. Nous prouvons notre doctrine, et nous montrons les principes inébranlables sur lesquels elle est appuyée. Nous ne retenons personne malgré lui ; car ceux qui manquent de dévotion et de fidélité ne sont pas propres au service de Dieu. Cependant nul ne sort de notre communion, parce que nous y sommes tous retenus par la vérité. Que les païens en usent de la même sorte, s'ils ont quelque bonne opinion de la cause qu'ils défendent ; qu'ils entrent en conférence avec nous, et ils se feront railler par les femmes et par les enfants de notre religion pour lesquels ils ont du mépris. En vérité, c'est une extravagance inconcevable de prendre pour des dieux des hommes de la mort desquels ils n'oseraient disconvenir, puisqu'ils ont lu dans l'histoire leur généalogie, leur vie, leur règne, leur mort, le lieu de leur sépulture, leur consécration et leur apothéose, et puisqu'ils jugent fort bien qu'ayant été sujets à la loi de la mort, ils n'ont pas été exempts de celle de la naissance; que s'ils avaient l'impudence de nier des faits si évidents, ils seraient aisément convaincus par leurs propres livres où l'on voit l'origine de leurs mystères. Qu'ils reconnaissent la différence qu'il y a entre la vérité et le mensonge, puisqu'avec toute leur éloquence ils ne sauraient s'en persuader ; au lieu que des personnes grossières et ignorantes persuadent tout ce qu'il leur plaît de persuader, parce qu'elles n'avancent rien que de véritable. Pourquoi donc exercent-ils de si horribles cruautés, et découvrent-ils en même temps d'autant plus visiblement leur folie qu'ils affectent plus de la cacher? Il y a une extrême différence entre la cruauté et la piété. La vérité et la justice ne s'accordent point avec la dureté ni avec la violence. Ce n'est pas sans sujet qu'ils n'osent parler d'aucune matière de religion; c'est qu'ils ont peur d'être abandonnés par ceux de leur parti et d'être raillés par ceux du nôtre. Si les profanes, qui ont un jugement sain et droit savaient que les mystères ont été institués en l'honneur d'hommes morts, ils les condamneraient et en chercheraient de plus véritables. Voilà pourquoi des artificieux et des fourbes ont si fort recommandé le silence dans la célébration des mystères, afin que le peuple ne sût jamais ce qu'il adore. Pourquoi n'ajoutent-ils point de foi à ce que nous disons, nous qui sommes parfaitement instruits de leur doctrine et de la nôtre, et pourquoi ont-ils de la jalousie de ce que nous avons préféré la vérité au mensonge ? « C'est, disent-ils, qu'ils sont obligés de défendre des cérémonies que l'antiquité a consacrées par un long usage. » Que leur égarement procède d'une disposition de cœur peu honnête! Ils jugent fort bien qu'il n'y a rien de si excellent que la religion, et qu'elle mérite d'être défendue de toute l'étendue de notre pouvoir; mais comme ils se trompent dans le choix de la religion, ils se trompent aussi dans relui des moyens par lesquels ils la défendent. Il faut défendre la religion non en tuant les autres, mais en mourant pour elle; non par la rigueur des supplices, mais par la patience; non par des crimes, mais par la foi. La religion étant un bien, elle ne veut point être défendue par le mal. Si vous entreprenez de la défendre en répandant le sang, en exerçant des cruautés, et en commettant des crimes, bien loin de la défendre vous la violez. Il n'y a rien de si volontaire que la religion, et elle est entièrement détruite pour peu que la liberté de celui qui offre son sacrifice soit contrainte. Le meilleur moyen de défendre la religion est de mourir pour elle. On l'autorise de cette sorte devant les hommes, et en même temps on conserve à Dieu la fidélité qu'on lui a vouée. Lorsque ceux qui servent les rois de la terre ont signalé leur fidélité par un service important, et qu'ils survivent au danger, ils en sont plus estimés et plus chéris de leur prince; et s'ils meurent pour ses intérêts, ils acquièrent une réputation universelle. La foi que nous gardons à Dieu est suivie d'une récompense d'autant plus solide et plus éclatante, qu'elle dure non seulement autant que la vie présente qui est fort courte, mais autant que la vie future qui est éternelle. Le culte que nous rendons à Dieu est comme une milice spirituelle qui nous oblige à lui garder une inviolable fidélité. Comment Dieu aimerait-il l'homme qui l'adore, s'il n'était aussi aimé de lui? Quand les païens offrent à leurs dieux des sacrifices, ils ne leur offrent rien qui soit intérieur, ni qui leur soit propre. Ils ne leur offrent point une âme pure, une soumission sincère, une crainte respectueuse. Quand ils ont achevé leur vaine cérémonie, ils laissent toute leur piété dans le temple et ils n'en remportent rien, comme ils n'y avaient rien apporté.
Voilà pourquoi toutes ces religions-là ne peuvent rendre l'homme vertueux, ni ferme et immuable dans la vertu. Il est aisé d'en retirer les hommes, parce qu'ils n'y apprennent rien qui les rende ou plus heureux, ou plus pieux, ou plus sages. En effet, en quoi consiste toute cette religion des dieux? quel est son pouvoir? quelles en sont les cérémonies ? quelle en est l'origine et le fondement? quelle en est la fin et la récompense? que promet-elle à l'homme pour l'engager à entreprendre sa défense? Je n'y vois rien que des cérémonies extérieures, et qui se terminent au bout des doigts. Notre religion au contraire est ferme, stable et immuable, parce qu'elle enseigne la justice, qu'elle est intérieure, qu'elle réside dans le cœur, et qu'elle sacrifie ce cœur même comme une victime. La religion païenne ne demande que le sang des bêtes, que la fumée et l'odeur de l'encens, que l'effusion de quelques liqueurs, au lieu que la nôtre demande une bonne conscience, la pureté du cœur, et l'innocence de : vie. La religion païenne admet indifféremment toute sorte de personnes, des femmes adultère des prostituées à l'incontinence publique, des âmes perdues qui, ayant renoncé à la pudeur dès leur jeunesse, tendent dans un âge avancé des pièges à celle des autres et leur ôtent la honte qui les empêcherait de s'abandonner à la débauche; elle admet des gladiateurs et des voleurs, qui ne demandent rien aux dieux que la grâce de commettre des crimes. Que demandera un gladiateur si ce n'est de tuer? Que demandera un usurier si ce n'est de tromper? Que demandera une courtisane, si ce n'est de se souiller d'abominations? Que demandera une adultère, si ce n'est la mort de son mari, ou que son infidélité demeure secrète? Que demandera une femme qui corrompt et qui prostitue les autres, si ce n'est de dépouiller et de ruiner un grand nombre de personnes? Que demandera un voleur, si ce n'est d'emporter une grande quantité du bien d'autrui? Parmi nous on ne tolère pas le moindre péché. Si quelqu'un offre son sacrifice avec une conscience qui ne soit pas pure, il entend aussitôt des menaces terribles de la bouche de Dieu, qui voit les replis les plus cachés du cœur, qui est l'ennemi irréconciliable du péché et qui nous oblige indispensablement à la foi et aux bonnes œuvres. Voilà comment la mauvaise conscience ni les prière injustes n'ont point lieu dans nos assembler Mais les païens sont dans un si misérable aveuglement qu'ils ne peuvent reconnaître combien une religion, qui autorise les crimes les plus infâmes et qui reçoit des prières faites avec une conscience toute souillée, est mauvaise. Ils s'imaginent avoir offert leurs sacrifices avec beaucoup de piété quand ils ont levé leurs mains, comme si toute l'eau des fleuves de la mer pouvait effacer les taches de leur cœur. Il faut laver la conscience et la purifier des mauvais désirs qui la souillent. Il faut effacer tous les crimes par l'eau de la vérité et de la foi. Quiconque en aura nettoyé son âme sera fort pur, de quelque ordure dont son corps puisse être sali.
