VII.
Dieu qui a un plus grand soin et une plus grande tendresse pour les hommes qu'aucun père n'en peut avoir pour ses enfants, a envoyé son ambassadeur sur la fin des temps pour rappeler le siècle d'or, et pour rétablir la justice sur la terre d'où elle avait été bannie. La félicité de ce siècle est donc revenue, et la justice a paru, bien qu'elle n'ait été accordée qu'à un petit nombre de personnes. Cette justice n'est autre chose que le culte du vrai Dieu. Quelqu'un s'étonne peut-être de ce qu'elle n'est pas communiquée indifféremment à tout le monde, et de ce qu'elle n'est pas reçue généralement de tous les peuples. L'inégalité de traitement que Dieu a fait aux hommes quand il a rétabli la justice sur la terre, fournit un ample sujet de discourir. J'en ai déjà apporté plusieurs raisons et en apporterai encore d'autres en leur lieu. Mais ici je me contenterai de dire que la vertu ne paraît jamais tant que par l'opposition des vices qui lui sont contraires, et qu'elle ne peut être parfaite si elle n'est éprouvée. Dieu a placé le bien et le mal dans une telle distance que l'on ne les connaît que l'un par l'autre. Quand il a rétabli la justice, il n'a pas ôté le vice, parce que, s'il l’eût ôté, il semble qu'il aurait ôté aussi la vertu. Comment exercerait-on la patience, s'il n'y avait plus de mal que l'on pût souffrir ? Quelle louange mériterait la fidélité qu'on garde à Dieu, s'il n'y avait personne qui entreprit de détourner de son service ? Il a permis que les médians eussent le pouvoir entre les mains, afin qu'ils en pussent abuser pour contraindre les autres à fuir le mal, et que les médians fussent en plus grand nombre que les gens, de bien, afin que la vertu fût autant estimée qu'elle serait rare. Quintilien démontre cette vérité avec autant d'élégance que de brièveté dans une déclamation qui a pour titre : Le visage couvert d'un bandeau. « L'innocence, dit-il, serait-elle une vertu, si elle n'était d'autant plus louable qu'elle est plus rare. » Comme la haine, la cupidité et la colère sont des passions qui aveuglent l'esprit, il semble qu'il faudrait être au-dessus de la nature pour ne point faire de fautes. Si tout le monde était dans le même sentiment, la piété ne serait d'aucun usage. La raison en est évidente : car si la vertu consiste à combattre le vice, s'il n'y avait point de vice il n'y aurait point de vertu. C'est pourquoi Dieu, qui voulait la conserver, a retenu son contraire. Les maux qui s'efforcent de l'ébranler ne servent qu'à l'affermir. Voilà pourquoi le siècle d'or n'a pas été rappelé sur la terre dans le temps que la justice y a été rétablie. Dieu a permis que le mal demeurât, afin qu'il y eût une diversité qui renferme un des plus rares secrets de notre religion.
