XVI.
En changeant ces deux principes de la justice, on ôte toute sorte de vertu et de vérité, et ou oblige la justice à retourner au ciel. Ainsi on ne trouve point parmi les philosophes ce véritable bien dont ils ne connaissent ni la cause ni les effets, et dont la beauté n'a été découverte qu'à ceux de notre religion. Quelqu'un me demandera peut-être, s'il n'y a pas parmi nous des pauvres et des riches, des serviteurs et des maîtres, et si nous ne mettons point de différence entre les hommes. Nous n'en mettons point, et nous nous appelons tous frères, parce que nous nous tenons tous égaux. Nous jugeons des hommes par ce qui regarde leur âme et non par ce qui regarde leur corps; et ainsi, bien qu'il y ait entre eux quelque diversité à l'égard du corps, nous regardons ceux qui nous servent selon le corps comme nos frères selon l'esprit, selon lequel ils servent le même Dieu que nous. Les richesses ne rendent considérables parmi nous que ceux à qui elles sont une occasion de faire de bonnes œuvres. On n'est pas riche pour avoir du bien, si l'on ne rapporte son bien à des actions de vertu. Ceux qui semblent pauvres sont riches en effet, parce qu'ils n'ont besoin de rien et qu'ils ne désirent rien. Les serviteurs et les maîtres, les grands et les petits, sont égaux entre eux par leur modestie et par la disposition de cœur qui les éloigne de toute sorte de vanité. Il n'y a que Dieu au jugement de qui ils se distinguent par leur vertu et devant qui les plus justes sont aussi les plus élevés. Un homme de bien s'égale par modestie à ceux qui sont au-dessous de lui, et en s'égalant de la sorte il s'élève. Que si non content de s'égaler à ses inférieurs, il s'abaisse au-dessous d'eux, alors il acquiert un rang beaucoup plus éminent au jugement de Dieu même. Dans cette vie, où il n'y a que des biens fragiles et pensables, les hommes se préfèrent les uns aux autres, et disputent pour tenir le premier rang, ce qui est fort mal honnête, fort insolent, et fort éloigné de la modération d'un homme sage. Dans notre religion, qui est un état céleste et divin, on suit une conduite toute contraire; car comme la sagesse des hommes n'est qu'une folie devant Dieu, et que la folie des fidèles est une souveraine sagesse, ainsi ceux qui paraissent les plus élevés et les plus considérables devant les hommes sont les plus bas et les plus méprisables devant Dieu ; car sans dire que les biens et la terre que l'on estime si fort sont contraires à la vertu, et qu'ils diminuent la vigueur de l'esprit, quelle excellence et quelle grandeur y peut-on rencontrer, puisqu'il est certain qu'il ne dépend que de Dieu de réduire les rois à un état plus misérable que n'est celui du moindre de leurs sujets? C'est pour cela qu'entre plusieurs autres maximes, le Sauveur nous a donné celle-ci : « Quiconque s'élèvera sera abaissé, et quiconque s'abaissera sera élevé ; » c'est-à-dire que quiconque prendra la dernière place parmi les hommes en obtiendra une des premières par le jugement de Dieu. Cette maxime a du rapport avec cette parole d'Euripide :
Ce qui passe pour un mal sur la terre, est estimé un bien dans le ciel.
