IX.
1 Il y a des arguments qui n'ont été inventés ni par Platon, ni par aucun autre philosophe, qui ne laissent pas de prouver fort solidement l'immortalité de l'âme. Je les renfermerai en peu de paroles, parce que j'ai hâte de représenter le jour du jugement où les actions de tous les hommes seront examinées à la fin des siècles. Comme Dieu est invisible, de peur que l'incapacité que les yeux du corps ont de le découvrir ne donne suite de douter de son existence, parmi toutes les merveilles il a produit des choses dont la force se fait sentir, bien que leur substance soit imperceptible aux yeux. Nous connaissons la voix, l'odeur et le vent, quoique nous ne les puissions voir. Et ce sont des exemples qui nous apprennent à connaître Dieu par des effets, bien que nous ne le voyions point par les yeux du corps. Qu'y a-t-il de si clair que la voix, de si fort que le vent, de si violent que l'odeur; Cependant nous n'apercevons aucun de ce corps, quand ils remplissent l'air ou qu'ils flippent nos sens. Ainsi nous connaissons Dieu, non par les yeux, ni par aucun autre sens corporel, mais par l'esprit et par la considération de ses ouvrages. Bien loin de mettre au nombre des philosophes ceux qui assurent qu'il n'y a aucun Dieu, à peine s'ils méritent que je les mette au nombre des hommes. Ils sont plutôt semblables aux bêtes, puisque, ne découvrant rien par leur esprit, ils croient qu'il n'y a rien que ce qui touche leurs sens, et que, parce qu'ils voient des adversités aux gens de bien et des prospérités aux médians, ils se sont imaginé que tout ce qui se fait se fait par hasard, et que le monde, au lieu d'être l'ouvrage d'une sage providence, n'est qu'un effet de la nature.
2 Ils sont tombés ensuite dans les extravagances où leur premier égarement devait les jeter. Que si Dieu est incorporel, invisible et éternel, on ne peut pas en inférer que l'âme ne survive point au corps et qu'elle est invisible dès le moment qu'elle en est séparée, puisqu'il est certain qu'il y a des êtres qui subsistent et qui ont le sentiment de la vie, bien qu'ils ne puissent être aperçus par les yeux. Mais il est difficile, dira-t-on, de concevoir de quelle manière l'âme conserve le sentiment, lorsqu'elle n'a plus les organes par où les puissances sensitives reçoivent leurs fonctions. Que dirons-nous de Dieu? Est-il aisé de comprendre la manière dont il subsiste sans avoir de corps? Comme ceux dont je parle sont persuadés qu'il y a des dieux, si ces dieux-là existent en effet, il est certain qu'ils n'ont point de corps. Les âmes subsistent de la même sorte lorsqu'elles sont séparées, et cela est fondé sur la ressemblance qui est entre Dieu et l’âme à l'égard de la raison et de la Providence. Enfin, il y a encore un autre argument assez fort, et dont Cicéron a eu connaissance, pour prouver l'immortalité de l'âme, qui est : qu'il n'y que l'homme qui ait quelque idée judicieuse de la religion. Or, la religion nous étant propre et particulière, c'est sans doute une preuve que nous désirons et recherchons une nature excellente, à laquelle nous devons nous unir étroitement.
3 Quelqu'un peut-il considérer la structure des autres animaux, que la providence éternelle n'a faits courbés vers la terre que pour montrer qu'ils n'ont aucun rapport au ciel, sans reconnaître que l'homme seul est un animal céleste et divin, dont la taille droite et le visage élevé vers le ciel semble mépriser la bassesse de la terre, chercher le lieu de son origine, et tendre vers le souverain bien, qui est son principe. Trismégiste a très bien nommé θεώπιδα l'action par laquelle l'homme tend à Dieu, qui est une action dont les autres animaux ne sont pas capables. La sagesse, qui est un bien qui n'a été accordé qu'a l'homme, n'étant autre chose que la connaissance de Dieu, il est clair que l'âme, au lieu de finir avec le corps, subsiste toujours, et que, sentant comme par un instinct naturel et le principe d'où elle est sortie et le lieu où elle doit retourner, elle aime et cherche Dieu, qui est éternel. Il y a encore une autre preuve fort considérable de l'immortalité de l'âme, qui est que l'homme seul a l'usage du feu, qui est un élément céleste. Toute la nature étant composée du feu et de l'eau, qui sont deux éléments contraires, dont l'un est attribué à la terre et l'autre au ciel, les autres animaux, comme grossiers et terrestres, se servent de l'eau, qui est l'élément de la terre; l'homme seul a l'usage du feu, qui est un élément léger, sublime et céleste. Ce qui est pesant abaisse et entraine vers la mort, au lieu que ce qui est léger élève et porte à la vie, qui est en haut. Comme il n'y a point de feu sans lumière, il n'y a point de vie sans lumière. Le feu est donc l'élément de la lumière et de la vie, d'où il s'ensuit que l'homme, qui en a l'usage, est d'une condition immortelle.
4 On peut encore tirer une autre preuve de l'immortalité de l'âme de l'avantage que l'âme a seule de posséder la vertu; car si l'âme périssait avec le corps, la vertu serait contraire à la nature, puisqu'elle nous nuirait durant le cours de la vie présente. La vie que nous menons sur la terre et qui nous est commune avec les animaux, poursuit le plaisir et fuit la douleur, dont le sentiment est incommode et donne quelquefois la mort. Que si la vertu nous prive de la jouissance des sens que nous recherchons naturellement, et qu'elle nous portée souffrir les maux pour lesquels nous avons de nous-mêmes de l'aversion, la vertu est un mal contraire à la nature, et il faut avouer que c'est une folie que de la poursuivre, puisqu'en la poursuivant on se prive des biens présents, et qu'on souffre les maux sans espérance d'aucun profit; car n'est-ce pas avoir perdu toute sorte de sentiment que de renoncer aux plus charmantes voluptés, pour vivre dans la bassesse, dans la pauvreté, dans le mépris et dans la honte, ou plutôt pour ne pas vivre, mais pour gémir, pour être tourmentés et pour mourir! N'est-ce pas être stupide et aveugle que de se jeter dans des maux dont on ne tire aucun bien qui puisse récompenser la perte de plaisir dont on se prive ! Que si la vertu n'est pas un mal, si elle agit honnêtement quand elle méprise les voluptés criminelles et infâmes, si elle fait paraître de la force quand, pour s'acquitter de son devoir, elle n'appréhende ni la douleur, ni la mort, il faut donc nécessairement qu'elle obtienne quelque bien plus considérable que ceux qu'elle rejette. Or quel bien peut-on espérer après la mort, si ce n'est l'éternité?
