XV.
1 Il est rapporté dans l'histoire sainte que le premier de la nation des Juifs fut obligé, par une stérilité, une disette de blé, de se réfugier en Egypte avec sa famille et sa parenté. Ses descendants s'y étant fort multipliés par la suite des temps, ils y furent réduits sous le joug pesant d'une servitude insupportable, en haine de quoi Dieu frappa l'Egypte d'une plaie incurable, délivra son peuple, et sépara les eaux de la mer pour lui ouvrir un passage au milieu de cet élément. Le roi d'Egypte ayant entrepris de les poursuivre, fut enseveli sous les flots qui reprirent leur place naturelle. Bien qu'un si rare événement fût une éclatante preuve de la puissance que Dieu employait contre les ennemis de son peuple, il ne laissait pas d'être le signe et la figure d'un miracle plus surprenant, qu'il accomplira à la fin des siècles lorsqu'il délivrera ses élus de la servitude du monde. L'Egypte fut seule frappée en ce temps-là, parce qu'il n'y avait qu'un peuple de Dieu dans les fers de cette nation. Mais comme à la fin du monde le peuple de Dieu sera répandu sur toutes les parties de la terre, et qu'il n'y en aura aucune où il ne gémisse sous l'oppression, il n'y en aura aussi aucune qui ne sente les coups par laquelle la justice divine leur rendra la liberté. Comme la désolation de l'Egypte fut alors prédite par des présages extraordinaires, la ruine du monde sera marquée par des signes prodigieux qui paraîtront dans tous les éléments.
2 Lorsque la fin de l'univers approchera, la face des choses sera tellement défigurée, et leur état tombera, par le prodigieux accroissement de la malice dans une telle extrémité de débordements et d'excès, que notre temps, qui semble être monté au plus haut point de la malice, peut passer en comparaison de celui-là pour un temps fort doux et pour un siècle d'or. L'honneur et la vertu seront si rares, le crime, l'impiété, l'avarice, l'intempérance si communs, que le peu qui restera de gens de bien seront la proie des médians, exposés aux plus cruelles persécutions, accablés d'outrages, et que les médians seront dans l'abondance de toute sorte de biens. Les lois seront universellement violées. Nul ne possédera que ce qu'il aura usurpé ou conservé par la violence. Il n'y aura plus parmi les hommes ni bonne foi, ni humanité, ni sincérité, ni honneur, ni paix ; et par une suite nécessaire, il n'y aura ni sûreté, ni police, ni repos. Toute la terre sera remplie de tumulte ; tous les pays seront ébranlés par le bruit des armes; toutes les nations seront aux mains les unes contre les autres. Les villes voisines se feront la guerre, et l'Egypte sera inondée comme d'un fleuve de sang, et portera la première le juste châtiment de ses extravagantes superstitions. La désolation fera le tour du monde et abattra tout, comme les blés au temps de la moisson. La cause de cette désolation sera que l'empire romain qui s'étend maintenant sur toute la terre, que cet empire si puissant (je ne le saurais dire sans horreur, mais je le dirai pourtant puisque cela doit arriver), sera détruit, que l'Occident sera réduit à la servitude et que l'Orient aura l'autorité de commander. Il ne faut pas s'étonner qu'un État qui paraît si solidement établi, qui a été élevé à un si haut point de grandeur pendant une longue suite d'années et par les exploits héroïques de tant d'illustres personnages et qu'ils ont soutenu par de si immenses richesses, ne tombe enfin en ruine. Ce qui peut être élevé par la puissance des hommes, peut être détruit par la même puissance. Ils ne peuvent rien faire qui ne soit sujet au temps et à la destruction, puisqu'ils y sont sujets eux-mêmes. Les autres empires qui avaient subsisté plus longtemps ont enfin été détruits. Les Égyptiens, les Perses, les Grecs et les Assyriens ont autrefois étendu leur domination sur l'univers, et leur puissance s'étant évanouie, les Romains sont enfin devenus maîtres du monde. Mais plus leur élévation a été prodigieuse, plus leur chute sera funeste.
3 Sénèque a donné élégamment des âges à la ville de Rome ; il a dit quelle avait été comme dans l'enfance sous le règne de Romulus, son fondateur; dans la jeunesse sous les autres rois, qui ont pris le soin de l'agrandir et de l'instruire ; qu'étant presque parvenue à un âge parfait sous Tarquin, elle avait secoué le joug de son insolente domination et avait mieux aimé être gouvernée par la sage disposition des lois que par la volonté des princes. Il ajoute que cette ville s'étant trouvée comme à la fin de sa jeunesse avant la guerre d'Afrique, elle avait augmenté en force, et qu'ayant ruiné Carthage qui lui avait disputé si longtemps l'empire, elle avait étendu ses bras de tous côtés sur mer et sur terre, jusqu'à ce qu'ayant dompté tous les rois et subjugué tous les peuples, et comme épuisé, par leur défaite, la matière de ses conquêtes, elle avait tourné ses armes contre elle-même. Le temps de la guerre civile, auquel elle a déchiré ses propres entrailles, a été comme le commencement de sa vieillesse, d'où elle est retombée dans le gouvernement monarchique comme dans une seconde enfance ; car ayant alors perdu la liberté qu'elle avait autrefois acquise par les conseils et par le courage de ces vertus, elle tomba dans une si pitoyable faiblesse, qu’il semblait qu'elle ne se pouvait plus conduire que par le secours des empereurs. Tout ce discours étant véritable, de quoi la vieillesse peut-elle être suivie, si ce n'est de la mort? Et cette mort doit bientôt arriver, selon que les prophètes l'ont prédit, en termes obscurs et embarrassés pour n'être pas entendus. Les sibylles déclarent ouvertement que Rome périra par un juste effet de la colère de Dieu, dont elle a haï le nom et persécuté les serviteurs. Hidaspe, ancien roi des Mèdes, qui a donné son nom à un fleuve, qui le retient encore aujourd'hui, a prédit, avant la fondation de Troie, sous le nom d'un jeune enfant, que le nom et l'empire des Romains seraient détruits
