VII.
1 Les philosophes n'ont point compris la vérité, pour n'avoir pu comprendre ces principes avec leurs suites et leurs dépendances. Ils en ont vu quelques conséquences détachées ; mais ne les ayant pas réunies, ils n'ont point formé de raisonnement parfait. Il est aisé de faire voir qu'il n'y a presque point de vérité sur laquelle les philosophes ne se soient partagés. Nous ne prétendons pas renverser la philosophie par la méthode. Les académiciens ont accoutumé de suivre en réfutant, ou plutôt en éludant, tout ce qu'on leur objecte. Mais nous voulons montrer qu'il n'y a jamais eu de sectes si fort engagées dans l'erreur, ni de philosophes si fort trompés par la vanité de leurs pensées, qu'ils n'aient vu quelque chose de la vérité. Il est vrai pourtant que les philosophes s'étant portés aux dernières extravagances par nu trop grand désir de dispute, et ayant entrepris de soutenir opiniâtrement leurs erreurs, ont renversé les meilleurs maximes des autres, et ont laissé échapper la vérité d'entre leurs mains. Que si quelqu'un avait ramassé les vérités qui sont répandues parmi les diverses sectes des philosophes, et qu'il en eût formé un corps de doctrine, il ne se trouverait pas éloigné de notre sentiment. Mais c'est une entreprise que nul ne peut faire s'il n'est bien informé de la vérité, et il ne peut en être bien informé s'il ne l'a apprise de Dieu même; car à moins de cela, il ne sera jamais capable de la reconnaître et de la discerner de la fausseté. Que s'il la pouvait découvrir par hasard, il ne laisserait pas de raisonner solidement; et bien qu'il ne pût l'appuyer sur le témoignage de l'Écriture, il la proposerait assez évidemment pour la faire reconnaître. C'est pourquoi il me semble que l'erreur de ceux-là est tout à fait insupportable, qui, après avoir approuvé les maximes d'une secte, et s'être déclarés en sa faveur, condamnent toutes les autres comme fausses ou inutiles, et se préparent à une dispute opiniâtre, bien qu'ils ne sachent, ni ce qu'ils doivent soutenir, ni ce qu'ils doivent réfuter, et rejettent indifféremment tout ce qui est avancé par ceux qui ne sont pas de leur avis.
2 La chaleur et l'opiniâtreté de leurs disputes a été cause qu'aucune secte n'a possédé entièrement la vérité, bien que chacun en ait découvert une partie. Platon a dit que Dieu avait créé le monde. Les prophètes ont assuré la même chose, et les sibylles l'ont confirmé par leurs vers. Il faut donc que ceux-là se trompent, qui disent que toutes choses sont nées d'elles-mêmes, ou par le concours de quantité de semences fort petites et fort déliées; car il est impossible qu'un ouvrage d'une si prodigieuse grandeur et d'une si merveilleuse beauté, ait pu être produit autrement que par la puissance et par la sagesse d'un autre être parfait. La manière dont il se conserve et se gouverne est une preuve convaincante qu'il est l'ouvrage d'un être sublime, intelligent. Les stoïciens soutiennent que le monde et ce qu'il contient, a été fait pour l'homme. L'Écriture nous enseigne la même vérité ; et ainsi Démocrite s'est trompé quand il a cru que les hommes étaient sortis au hasard de la terre comme des vers. Ce philosophe n'ayant pu pénétrer le secret de la formation de l'homme, l'a réduit comme au néant. Ariston a prétendu que les hommes étaient nés pour pratiquer la vertu. Les prophètes ont enseigné la même doctrine, et partant Aristippe a eu tort de les assujettir au plaisir comme des bêtes. Phérécide et Platon ont soutenu l'immortalité de l'âme, et c'est la croyance de tous les chrétiens, et partant Dicéarque et Démocrite sont tombés dans l'erreur, quand ils ont dit qu'elle périssait avec le corps. Zénon le stoïcien a soutenu: qu'après cette vie il y a des lieux séparés pour recevoir les âmes des gens de bien et celles des méchants ; que les unes jouissent d'une parfaite tranquillité, au lieu que les autres sont tourmentées dans une région obscure et dans un bourbier plein d'horreur. Les prophètes nous ont fait une description toute semblable des peines et des récompenses qui sont préparées par la justice divine aux siècles à venir. Épicure s'est donc trompé quand il a cru que ce n'était qu'une fiction poétique, et qu'il s'est imaginé que les supplices qu'on attribue aux enfers sont ceux que les méchants souffrent sur la terre avant leur mort. Il est donc clair qu'il n'y a point de vérité, ni de mystère dans notre religion, que les philosophes n'aient soutenus et qu'ils n'aient en quelque sorte touchés. Mais ils n'ont pu soutenir les vérités qu'ils avaient découvertes, parce qu'ils n'en avaient pas formé un corps, comme nous l'avons fait.
