V. 4
« Si l'esprit de celui qui a la puissance s'élève sur vous, ne quittez pas votre place, parce que les remèdes qu'on vous appliquera vous guériront des plus grands péchés. » L'Écriture parle en cet endroit du prince de ce monde, du prince des ténèbres,qui agit dans les incrédules, comme l'a remarqué l'apôtre saint Paul. Que si nous avons eu le malheur de lui donner entrée dans notre coeur, et si les mauvaises pensées ont fait quelque plaie. à notre âme, que ce malin esprit trouve désormais la porte du coeur fermée; combattons généreusement contre toutes sortes de pensées les plus mauvaises et les plus criminelles, afin d’être guéris et délivrés du très grand péché, c'est-à-dire: afin de ne pas accomplir par les actions ce que les mauvaises pensées nous suggèrent; car il y a une fort grande différence entre pécher par pensée et pécher par oeuvres et par actions. C'est de ce très grand péché d'action que parle le Psalmiste lorsqu'il dit : « Si je ne suis pas dominé par les miens, je serai alors sans tache et purifié d'un très grand péché. » Symmaque n'a retenu que le sens du mot hébreu marphé, que tons les autres interprètes grecs ont traduit par hiama, qui signifie: santé, ou : remède. Symmaque dit donc : « Si l'esprit du prince vient fondre sur vous, ne quittez pas ou ne vous éloigner. pas de votre place ; parce que la pudeur et l'honnêteté répriment de grands péchés. Cela veut dire : Si le démon excite en vous les chatouillements du péché et qu'il veuille vous porter à l'impureté, ne suivez pas ses mauvaises pensées ni les attraits de la volupté, mais demeurez ferme et constant dans le bien. Soyez sévère contre vous-même , pour éteindre par les froideurs de la chasteté les flammes impures de la volupté et du vice.
Mon Hébreu, en m'expliquant autrefois ce passage, me disait je ne sais quoi pour m’en faire comprendre le sens ; et voici ce qu'il en pensait. Si vous avez été élevé à quelque dignité dans le monde, et si l'on vous a donné un plus grand rang qu'aux autres parmi le peuple , gardez-vous de vous négliger sur la pratique de vos anciennes vertus, et ne quittez pas vos premiers exercices; continuez à travailler comme vous avez toujours fait, parce que vous ne sauriez trouver le remède et la guérison de vos maux et de vos péchés dans le faste et la vanité d'une dignité dont vous êtes revêtu ; mais vous la trouvez dans la vertu et dans la bonne conduite. » Quia peccatorum tuorum remedium ex conversatione bona nascitur ; non ex tumenti et ex superflua dignitate.
V. 5, 6 et 7. « Il y a un mal que j'ai vu sous le soleil et qui semble venir de l'erreur du prince : l'imprudent élevé à une dignité sublime, et les riches assis dans un lieu bas. J'ai vu les esclaves à cheval, et les princes marcher à pied comme des esclaves. » Ces paroles de notre traduction : « qui semble venir de l'erreur du prince, » se trouvent expliquées différemment dans les versions d'Aquila, de Théodotien et des Septante, où nous lisons : « Qui semble n'être pas volontaire devant le prince. » L'Ecclésiaste dit donc qu'il a vu cette injustice dans le monde, ou, pour mieux parier, cet injuste dérangement; parce qu'il semble que les jugements de Dieu ne sont pas équitables, en ce qu'il souffre tant de renversements dans cette vie ; car, soit qu'il ignore ce qui se passe dans ce monde, soit que les choses arrivent sans sa volonté, il ne parait point juste ni du bon ordre que les imprudents et les insensés tiennent le haut bout et les premières places, tant dans le siècle que dans l'Église, pendant que des personnes d'un mérite distingué, des personnes sages, éloquentes et remplies de bonnes oeuvres vivent dans l'obscurité et dans la poussière. L'Apôtre a reconnu ce désordre dans les choses humaines, et il n'a point balancé d'en faire auteur le diable qui est si puissant dans ce monde, et qui est attentif à faire souffrir et , à humilier les gens de bien et tous ceux qui sont puissants en science et cri bonnes oeuvres. Il ne permet point que ceux-la soient connus parmi les peuples, ni qu'ils aient une grande réputation. Il fait si bien par ses artifices qu'il pousse les plus petits sujets, ceux qui n'ont ni esprit ni jugement, afin que l'Église soit gouvernée par des aveugles qui conduisent d'autres aveugles dans le précipice. Ce qui suit se dit dans le même sens et en confirme la vérité: « J'ai vu les esclaves à cheval, et les princes marcher à pied comme des esclaves. » Il veut dire qu'il a vu des gens esclaves du péché et Cie plusieurs vices, des gens qui n'ont pas plus de mérite que des valets méprisés de tous les hommes, il les a vus, dis je, élevés tout d'un coup par la faveur du démon aux plus grandes dignités, se promener dans les places publiques, montés sur de petits chevaux pour se distinguer et se faire remarquer; au lieu que des personnes sages et de naissance sont réduites à la dernière pauvreté , sont contraintes de marcher à pied et de faire ce que font les esclaves et les serviteurs.
Mon Hébreu croit que Dieu est le prince et le puissant dont il est parlé dans cet endroit, et que l'erreur des hommes semble venir de sa providence, parce qu'ils s'imaginent, vouant si peu d'équité et tant d'inégalité, clans les choses de ce monde, que Dieu ne juge pas justement et qu'il ne rend pas à chacun ce qu'il mérite. D'autres prétendent qu'il faut joindre ce verset avec ce qui a déjà été dit : «Si l'esprit de celui qui a la puissance s'élève sur vous, ne quittez pas votre place. » Ne soyons donc point tristes et ne nous affligeons point, s'il semble que nous vivons dans ce monde pour être humiliés et rabaissés, sachant que c'est l'ouvrage du démon d'élever les insensés et d'abaisser les riches en sagesse et en vertu, de revêtir des esclaves de marques illustres d'honneur qui n'appartiennent légitimement qu'à des maîtres, et de faire au contraire ramper dans la poussière des hommes qui méritent d'être honorés comme des princes et non pas d'être traités comme des esclaves.
