V. 15
« Le travail des insensés les accablera , parce qu'ils ne savent comment il faut. aller à la ville. » Il faut joindre le sens de ces versets avec ce qui précède, car l'Ecclésiaste y parle en général de tous les insensés, ou en particulier des seuls hérétiques. Lisez les ouvrages de Platon, ou les faux-fuyants d'Aristote; consultez Zénon et Carneades, et considérez ce que les uns et les autres ont dit, et vous verrez qu'il n'est rien de vrai comme cette parole de l'Écriture: « Le travail des insensés les accablera. » J'avoue qu'ils ont travaillé à la recherche de la vérité et qu'ils en ont fait toute leur étude, mais comme ils ne l'ont pas prise pour la règle de leur conduite et qu'ils ne l'ont pas regardée comme une lumière qui allait devant eux pour leur montrer le chemin, ils n'ont pu arriver à la ville qu'ils cherchaient, parce qu'ils se sont flattés de comprendre et d'acquérir la sagesse par des sentiments humains. C'est pourquoi il est dit dans un psaume « Seigneur, vous détruirez leur image dans votre cité; » car le Seigneur dissipera et anéantira dans sa ville toutes ces ombres et toutes ces différentes images dont l'erreur a coutume de se revêtir dans la personne des sectaires et des faux dogmatistes. Il est écrit aussi dans Isaïe: « Je suis la ville forte, la ville qui est attaquée. » En effet, la ville de la vérité et de la sagesse est une ville forte, une ville imprenable, contre laquelle les sages du monde, les philosophes et les hérétiques font tant d'efforts pour s'en rendre les maîtres.
Tout ce que nous avons avancé touchant les philosophes doit aussi s'entendre des hérétiques, qui font de vains efforts et qui s'accablent de travail dans l'étude des Écritures sans pouvoir en découvrir le sens véritable : c'est qu'ils marchent dans les déserts, dans des lieux perdus où il n'y a point de chemin qui mène à la ville. Le Psalmiste a fait mention de leurs égarements lorsqu'il a dit : « Ils ont été errants dans le désert et dans des lieux où il n'y avait point d'eau; ils n'ont point trouvé le chemin qui conduit à la ville où l'on voit un grand nombre d'habitants. »
V. 16, etc. « Malheur à vous, ô terre dont le roi est encore enfant et dont les Princes mangent dès le matin ! Heureuse est la terre dont le roi a d'illustres ancêtres et dont les princes ne mangent que dans le temps marqué pour prendre des forces, et non pas pour satisfaire la sensualité et tomber dans la confusion ! L'Ecriture semble rejeter l'empire et le gouvernement des jeunes gens et condamner les juges voluptueux , parce que la sagesse est encore faible dans les enfants et que les plaisirs et les délices citent toute la vigueur de l'esprit à ceux qui sont dans un âge parfait. Au contraire elle fait ici l'éloge des princes qui sont bien nés, qui ont de lionnes inclinations et à qui on a donné une noble éducation. Elle loue aussi les juges et les magistrats qui ne préfèrent pas leurs plaisirs et leurs divertissements aux affaires publiques, et qui ne prennent leur repas que par nécessité et après avoir travaillé longtemps pour régler tout ce qu'il y a de plus utile au gouvernement de la république : Qui nequaquam voluptatem negotiis civium praeferant; sed post multum laborem et administrationem reipublicae, cibum capere quasi necessitate cogantur.
Mais il nie semble que ce sens littéral nous en cache un autre plus mystérieux et plus divin. Je veux dire que l'Ecriture appelle jeunes gens ceux qui abandonnent. l'autorité des anciens et qui méprisent les préceptes vénérables des Pires, qui négligent les commandements de Dieu et qui veulent établir des traditions humaines. C'est d'eux que le Seigneur parle dans Isaïe, en invectivant contre le peuple d'Israël parce qu'il n'a pas voulu de l'eau de Siloé qui coule doucement et sans bruit, et qu'il a détourné le cours de l'ancienne piscine, donnant la préférence aux ruisseaux de Sa1narie et aux gouffres de Damas. « Je leur donnerai, » dit-il, « des jeunes gens pour princes, et des courtisans les domineront. » Lisez la prophétie de Daniel, et vous y verrez Dieu sous le nom d’Ancien des jours, » ou « d'Eternel. » Lisez aussi l'Apocalypse de saint Jean, et vous trouverez que la tête du Sauveur y est blanche comme la neige et ses cheveux comme la laine la plus blanche et la plus pure. On défend en fin à Jérémie de prendre le nom de jeune et d'enfant, parce qu'il était plein de sagesse et qu'elle avait pris en lui la place des cheveux blancs. Malheur donc à la terre qui a pour son roi le diable, toujours amateur de nouveautés, qui fit révolter Absalon contre son père, qui n'a dans son royaume que des juges et des magistrats toujours avides de tous les plaisirs passagers de ce monde! Ce sont eux qui disent pendant leur vie : « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain. » Au contraire bienheureuse est la terre de l'Eglise, dont Jésus-Christ est le roi , puisque c'est lui qui est descendu d'une race très illustre, et qui a eu pour ancêtres Abraham, Isaac et Jacob; sans parler de plusieurs autres grands prophètes, et de tous ces saints de l'Ancien-Testament qui ont été véritablement des personnes libres, parce qu'ils n'ont pas gémi sous la servitude du vice et du péché. C'est d'eux qu'est née la sainte Vierge Marie, plus noble et plus libre que tous ses ancêtres les plus illustres , qui n'a point eu à côté d'elle des rejetons, des arbrisseaux et de semblables productions, mais dont l'unique fruit a été cette fleur éclatante qui dit dans le Cantique des cantiques : « Je suis la fleur des champs et le lis des vallées. » Les princes aussi du roi dont nous parlons sont les apôtres et tous les autres saints qui vivent sous son empire, et qui ne connaissent point d'autre souverain que le fils d'une race illustre, le fils de la femme libre, non de la servante Agar, le fils de Sara, qui n'a mis au monde qu'un enfant libre, un fils de bénédiction et de promesse. Ces princes ne mangent point dès le mat in ni avec précipitation, car ce n'est point, dans ce siècle qu'ils cherchent leurs plaisirs et leurs joies : ils s'attendent à des délices plus solides, à des plaisirs dont ils jouiront au temps des récompenses éternelles que Dieu leur a préparées. Alors ils mangeront leur pain avec un plaisir extrême , parce qu'ils mangeront le pain des forts après s'être abstenus du bain qu'on ne mange qu'avec honte et confusion. Tous les biens présents de ce monde doivent être regardés comme une honte et une confusion : les biens futurs sont d'une force et d'une durée éternelle. Omne bonum praesentis saeculi confusio est; futuri perpetua fortitudo. Isaïe a dit quelque chose de semblable touchant le bonheur des serviteurs de Dieu : « Sachez que ceux qui me servent mangeront et seront rassasiés, pendant que vous serez misérables jusqu'à mourir de faim ; » et derechef : « Sachez que mes serviteurs seront dans la joie, et que vous serez couverts de honte et de confusion. »
