V. 18 et 19, etc.
« J'ai dit en mon coeur, touchant les enfants des hommes, que la parole, qui les distingue des bêtes, n'empêche pas qu'ils ne paraissent leur être semblables ; car le sort des animaux et celui des hommes est égal comme l'homme meurt, les bêtes meurent aussi ; les uns et les autres respirent le même air, et l'homme n'a rien de plus que la bête; tout est soumis à la vanité et tout tend vers un même lieu ; ils ont tous été tirés de la terre et ils retourneront tous en terre. Qui connaît si l'âme des enfants d'Adam monte en haut et si l'âme des bêtes descend en bas? » Il ne faut pas s'étonner si nous ne voyons dans ce monde aucune différence extérieure entre l'homme juste et l'homme impie, et si la vertu est si peu considérée dans ce temps de confusion et d'ignorance, puisque l'homme ne diffère en aucune manière des bêtes, quant à la misère et à la fragilité du corps : nous naissons comme l'on voit naître les bêtes; la mort nous réduit en poussière, de même qu'elle fait retourner en poussière le corps des bêtes privées de raison. Mais si nous pensons que les âmes des hommes montent en haut quand nous mourons et que les âmes des bêtes descendent dans la terre , sur quel témoignage appuyons-nous cette connaissance, et qui peut nous être garant de la vérité ou de la fausseté de nos espérances? ce que l'Ecclésiaste ne dit point comme s'il pensait que nos âmes périssent avec nos corps, et qu'après la mort les hommes et les bêtes sont mis dans un même lieu; mais parce qu'avant la venue de Jésus-Christ les hommes et les bêtes descendaient également sous la terre. C'est pourquoi Jacob disait qu'il devait « descendre dans les enfers. » Job se plaint aussi que les justes et les impies« sont retenus dans les enfers. » L'Evangile nous apprend de son côté qu'il y a un grand chaos dans les enfers; que le Lazare y est dans le sein d'Abraham, le riche dans les tourments. Et, pour dire la vérité, avant que Jésus-Christ, accompagné du bon larron, nous eût ouvert les portes du Paradis après avoir éteint les chariots de l'eu et l'épée étincelante qui en défendaient l'entrée, les cieux nous étaient entièrement fermés; et alors les hommes et les bêtes étaient renfermés dans la même clôture des enfers, parce qu'ils étaient aussi vils et aussi faibles les uns que les autres quant à la chair et à la substance matérielle; et quoiqu'il semblât que la dissolution des uns et la conservation des autres mit une grande différence entre les hommes et les bêtes, il faut néanmoins confesser que d'être retenu dans les ténèbres de l'enfer était presque la même chose que de périr avec le corps.
Remontons au commencement de cette section pour expliquer chaque verset d'une manière courte et précise, et selon l'ordre du texte sacré. «J'ai dit dans mon coeur, touchant le parler des enfants des hommes, que Dieu avait voulu les distinguer. » C'est principalement la faculté de la parole qui distingue les hommes des bêtes. Nous parlons les uns avec les autres et nous nous découvrons mutuellement nos inclinations et nos plus secrètes pensées, pendant que les bêtes demeurent muettes et abattues dans le silence. Néanmoins, bien que nous nous distinguions d'elles par la parole, nous ne laissons pas de leur être semblables dans les qualités du corps et par la vileté et la fragilité de la chair : on voit mourir les hommes de la même manière qu'on voit mourir les bêtes; les uns et les autres respirent le même air et vivent de même en le respirant. C'est le sens de ce verset : « Il n'y a qu'un souffle pour tous, et l'homme en cela n'a aucun avantage sur les bêtes. »
Mais, pour nous ôter la pensée que nous pourrions avoir, qu'il étend ce qu'il dit jusques à nos âmes, il ajoute d'abord : « Ils ont tous été tirés de la terre et ils retourneront tous en terre; » ce qui ne se peut dire que de nos corps, qui ont été formés de terre; et c'est du corps seulement que Dieu a dit: « Vous êtes terre et vous retournerez en terre. » Quant aux paroles suivantes, qui semblent contenir des blasphèmes et des impiétés : « Qui connaît si l'âme des enfants d'Adam monte en haut, et si l'âme des bêtes descend en bas?» quant à ces paroles, dis-je, il faut. bien se donner de garde de croire que l'Ecclésiaste ne distingue point les hommes des bêtes, et qu'il prétend confondre la dignité de l'âme avec la bassesse du corps. Il veut seulement, lorsqu'il dit : « qui connaît?» nous insinuer la difficulté de cette connaissance, et combien peu de personnes la possèdent; car dans l'Ecriture sainte le pronom interrogatif quis, qui, ne marque point l'impossibilité d'une chose, mais la seule difficulté ; comme dans cet endroit d'Isaïe : « Qui pourra parler de sa naissance?» et dans le quatorzième psaume : « Seigneur, qui est celui qui habitera dans votre tabernacle? » et le reste. La seule différence donc qu'il y a entre les hommes et les bêtes est que l'âme des hommes monte au ciel en se séparant du corps., et que l'âme des bêtes descend en bas dans la terre et y est détruite avec le corps; ce que j'ai dit en passant dans cette explication littérale, afin de répondre à quelque savant ecclésiastique qui pourrait prétendre que l'Ecclésiaste a parlé des âmes en doutant et ne sachant si celles des hommes montent en haut et si celles des bêtes descendent en bas.
