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Nous venons de voir que l'Apôtre n'ose conseiller aux époux une trop longue séparation, de peur que Satan ne les circonvienne. Quelles palmes et quelles couronnes ne méritent donc pas ceux qui, sans ce secours, savent toujours vaincre et triompher, et contre lesquels cependant le démon déploie toutes ses ruses et toute son audace ! Il est moins violent envers les personnes mariées, parce qu'il sait qu'au plus fort de la tempête elles trouvent dans le mariage un port et un refuge assuré. D'ailleurs l'Apôtre ne leur permet qu'une courte navigation, et il veut qu'ils reviennent promptement au rivage pour s'y reposer de leurs fatigues, et s'y abriter contre l'orage. Mais les vierges ne peuvent ni ralentir leur course à travers les ondes et les écueils, ni aspirer, au milieu des tempêtes, au calme d'une rive hospitalière. Les pirates craignent d'attaquer les vaisseaux qui ne s'éloignent qu'à une
faible distance du port ou de la rade, car ils s'exposeraient eux-mêmes à un très-grand péril. Mais s'ils rencontrent un navire en pleine mer, son isolement accroît leur audace. Ils l'abordent, et le combat ne cesse que par la prise et la perte des uns ou des autres. C'est ainsi que le démon, cet implacable ennemi de toute vertu, déchaîne contre les vierges les vents, les flots et les orages, et qu'il soulève tous les éléments afin de submerger leur frêle nacelle. II sait en effet qu'elles ne peuvent reculer, (Ephés. VI, 42.) et qu'il leur, faut sans cesse lutter contre les puissances du mal, jusqu'au jour où la mort les déposera au rivage sûr et paisible de l'éternité. Pour l'Apôtre, les vierges sont comme ces vaillants soldats qui dans une sortie voient les portes de la ville se refermer sur eux. La seule voie du salut qui leur reste est de vaincre un ennemi farouche, avec lequel elles ne peuvent conclure ni paix, ni trêve.
Attaquées parle démon avec une rage particulière , les personnes non mariées sont encore tourmentées par l'aiguillon de la concupiscence plus violemment que les autres. Il est évident pour tout le monde que la liberté d'user d'un plaisir, en ralentit le goût et l'ardeur. Et en effet rien de plus vrai que ce proverbe Ce qui est en notre pouvoir, émeut faiblement notre vouloir. Le contraire a lieu lorsqu'après avoir été à notre disposition, une chose nous est interdite : rien n'enflamme le désir comme la privation. Sous ce rapport le mariage offre donc un avantage; il procure plus de paix; si le feu de la concupiscence se rallume dans le coeur des époux, ils peuvent l'éteindre. Mais cette ressource est interdite aux vierges, elles voient les flammes s'élever autour d'elles et les entourer d'un réseau brûlant, et sans qu'il leur soit permis d'arrêter l'incendie, elles doivent se préserver de ses ravages. Etrange condition de la vierge chrétienne ! elle porte au-dedans d'elle-même un brasier ardent, et ne doit pas en être brûlée. Elle nourrit dans son sein une flamme dévorante, et doit en éviter les atteintes. Elle n'est pas libre d'en affaiblir les brûlantes ardeurs, en là laissant se répandre au dehors, et il faut qu'elle réalise dans son âme le prodige que l'auteur des proverbes déclare impossible dans le corps : Qui marchera sur des charbons ardents et ne se brûlera pas les pieds? Or, la vierge chrétienne est soumise à cette épreuve et elle la supporte. Le Sage ajoute : Qui portera du feu dans son sein sans enflammer ses vêtements? (Prov. VI, 27, 28.) Et le coeur de la vierge est le foyer d'une flamme plus vive encore et plus dévorante, et vous oseriez égaler le mariage à la sainte virginité ! L'Apôtre vous le défend, et il trace nettement la ligne qui sépare ces deux états, quand il dit que : Le second s'occupe de Dieu, et le premier du monde.
Nous trouvons même un éloge tacite de la virginité dans l'obligation qu'il impose aux époux de ne point se refuser l'un à l'autre, de peur que l'incontinence ne donne lieu à Satan de les tenter. Ce mot incontinence nous révèle toute la pensée de l'Apôtre; il explique le principal motif de la loi du mariage, et il est en même temps la critique de notre lâcheté. Oui, qui ne rougirait de mériter ce reproche, et qui ne tiendrait à s'en justifier? Car saint Paul ne s'adresse pas ici à tous les époux; il parle seulement à ceux qui sont moins courageux, et il semble leur dire : Si vous êtes dominés par la chair et le plaisir, et si vous ne respirez que la volupté, connaissez votre épouse. Mais certes il y a dans ce langage plus d'ironie et de blâme que de louange et d'approbation. S'il n'eût voulu atteindre fortement l'époux voluptueux, il eût employé le mot de faiblesse, et non celui d'incontinence qui renferme un reproche, et presque un outrage. Une expression plus modérée et plus indulgente n'aurait pas aussi énergiquement stigmatisé notre lâcheté. Ainsi il regarde comme incontinents les époux qui ne peuvent clé temps à autre vivre comme frère et sueur.
Que peuvent maintenant alléguer ceux qui considèrent la virginité comme inutile? Plus elle est rigoureusement observée, et plus elle est glorieuse. Le mariage au contraire mérite d'autant moins notre estime qu'on en use avec moins de modération. En effet l'Apôtre a dit : Je permets le mariage, et je ne l'ordonne pas. (I Cor. VII, 6.) Ce qui n'est que toléré peut-il être méritoire? Mais le même apôtres objecterez-vous, a dit, en parlant des vierges : A leur égard je n'ai point de précepte du Seigneur. (Ibid. V, 25.) Pouvez-vous conclure dé là qu'il place au même. rang le mariage et la virginité? nullement. Il conseille la virginité et il tolère le mariage. Sans doute il ne présente comme obligatoire, ni la virginité, ni le mariage; mais que les motifs de cette double réserve sont différents ! Saint Paul ne fait point une obligation du mariage, afin de laisser toute liberté à ceux qui veulent s'en abstenir, et il n'impose point la virginité, afin de ne pas induire dans le péché ceux qui ne seraient pas assez forts pour en porter le fardeau. Je ne commande pas la virginité, dit-il, parce que j'en connais les difficultés, mais je ne prescris pas non plus l'usage indéfini du mariage, ce qui serait porter une loi d'incontinence. J'ai dit seulement aux époux : Ne vous refusez pas l'un à l'autre, pour vous empêcher de vous dégrader par le péché, mais non de vous élever à un état plus parfait. Ainsi le but et l'intention de l'Apôtre est bien moins de permettre indéfiniment l'usage du . mariage, que de tolérer la lâcheté des époux. Et si vous désirez connaître toute sa pensée, écoutez cette parole: Je voudrais que vous fussiez tous en l'état ou je suis moi-même. (I Cor. VII, 7.) Voudriez-vous donc abolir le mariage, ô grand Apôtre? Non sans doute, répond-il, puisque je ne le blâme, ni ne le condamne, puisque même je le permets comme un remède contre l'incontinence , néanmoins je souhaite que tous soient vierges comme moi. c'est pourquoi j'ai. dit en commençant : Il est avantageux à l'homme de ne s'approcher de la femme.
