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Mais saint Paul, objecterez-vous encore, n'a-t-il pas dit: Que savez-vous, femme, si vous ne sauverez pas votre mari? (I. Cor. VII, 16.) Il juge donc que son concours n'est pas inutile dans les choses du salut: je le reconnais bien volontiers, et je suis loin de lui interdire toute coopération spirituelle. Mais j'affirme que, pour être véritablement utile à l'homme, elle doit sacrifier les droits du mariage, et, femme, déployer le mâle courage des saints. Ce n'est pas la femme délicate, et amie de la parure, du luxe et de la dépense qui arrachera son époux à la tentai;ion et au péché; ce sera celle qui saura s'élever au-dessus des affections terrestres, se conformer aux préceptes évangéliques, et se montrer probe, modeste, désintéressée et patiente. Oui, elle aidera puissamment son époux, si elle dit sincèrement avec l'Apôtre : Ayant de quoi nous nourrir, et nous couvrir, nous devons être contents (I Tim. VI, 8), et si, méditant les vérités éternelles, elle méprise la mort et les jouissances de la vie présente , et s'écrie avec le Prophète : Tous les plaisirs du monde sont comme l'herbe de la prairie. (Isaïe XI, 7.)
Non, encore une fois, ce n'est pas la femme qui ne sait que jouir du mariage qui contribue au salut de l'homme: cette mission est réservée à celle qui pratique l'Evangile dans toute sa sévérité. C'est ainsi qu'en dehors même du mariage, plusieurs femmes, comme nous le lisons de Priscille à l'égard d'Apollon (Act. 18), ont enseigné à des hommes les voies de la vérité, et aujourd'hui, quoique tout enseignement public leur soit interdit, elles peuvent encore montrer le même zèle, et produire les mêmes fruits. Car, ce n'est pas en qualité d'épouse que la femme devient apôtre auprès de son mari; autrement l'époux infidèle serait soudain un fervent chrétien, s'il suffisait pour le devenir d'habiter et de vivre avec une femme pieuse et fervente. Mais le salut d'un mari ne s'obtient pas ainsi, et il n'est accordé qu'à la sagesse et à la.prudence de la femme, à sa douceur inaltérable, à une force d'âme qui la rend supérieure aux misères de la vie conjugale, et lui fait poursuivre sans relâche le but souverain qu'elle se propose, le salut de son mari. Mais une femme, qui ne s'élève pas au-dessus des sentiments de son sexe, est plus nuisible qu'utile à un homme.
Au reste, nous pouvons préjuger toutes les difficultés d'une telle oeuvre par le ton interrogatif que l'Apôtre donne à sa phrase : Que savez-vous, femme, dit-il, si vous ne sauverez pas votre mari ? Or, nous n'employons cette façon de parler que pour exprimer un sentiment de défiance et de doute. Et puis, lisez ce qui suit : Etes-vous lié avec une femme ? ne cherchez point à vous délier; n'avez-vous point de femme ? ne cherchez point à vous marier.
C'est ainsi que saint Paul passe adroitement d'un sujet à un autre, et varie délicatement ses conseils et ses avis. En parlant du mariage, il a su amener l'éloge de la virginité pour élever nos pensées au-dessus de la chair et du sang; et maintenant il revient au mariage pour délasser notre attention. Son point de départ est la virginité, et avant même de traiter ce sujet, il discute celui du mariage. N'est-ce pas en effet le permettre, et même nous y exhorter que de dire : Pour ce qui regarde la virginité, je n'ai point de précepte à donner. Et de même après avoir dit que la virginité est un état excellent, il s'arrête brusquement, il craint que le mot seul ne blesse l'oreille trop délicate des Corinthiens. C'est pourquoi il s'abstient de le répéter : bien plus , quoiqu'il ait allégué les périls imminents de la vie, comme un motif puissant de surmonter les difficultés de la continence, il n'ose nommer de nouveau la virginité, et il se contente de dire : Il est bon à l'homme de demeurer ainsi. Puis il s'interrompt encore, s'explique par phrases incidentes, et en revient au mariage, comme à un sujet plus agréable. Si vous êtes lié avec une femme, dit-il, ne cherchez pas à vous délier. (I Cor. VII, 27.) Mais si son intention n'était pas de gagner par ces précautions la bienveillance des Corinthiens, comment à l'occasion du mariage parlerait-il de la virginité ? et néanmoins, c'est ce qu'il fait indirectement quand il ajoute N'avez-vous pas de femme? ne cherchez point à vous marier. Mais ici encore né vous effrayez point; il ne vous fait pas une loi de la continence, et il vous rassure par ces deux mots : Au reste, si vous épousez une femme, vous ne péchez point. (Ibid. V, 28.) D'un autre côté cependant modérez votre joie, car de nouveau il vous exhorte à embrasser la virginité par le tableau dès tribulations qui accompagnent le mariage.
Le médecin bon et compatissant divise en plusieurs coupes une potion amère, ou suspend à plusieurs intervalles une opération douloureuse afin de ménager au patient quelques instants de repos. C'est ainsi que l'Apôtre, sans insister exclusivement sur l'excellence de la virginité, mêle à son discours diverses questions touchant le mariage, et sait, par d'habiles précautions, plaire à l'esprit, et toucher le coeur. Voilà comment s'explique ce mélange de préceptes divers ; mais il n'est pas sans intérêt d'apprécier les expressions mêmes qu'il emploie.... Etes-vous lié avec une femme ? dit-il, ne cherchez point à vous délier. Certes ces paroles engagent bien moins l’homme à respecter le lien conjugal, qu'elles ne lui en montrent toute la solidité. Pourquoi saint Paul n'a-t-il pas dit : Vous avez une épouse, ne la quittez pas : Vous êtes uni à une femme, ne vous en séparez pas? Pourquoi affecte-t-il au contraire de nommer l'union conjugale un lien, et une chaîne ? n'est-ce point pour en symboliser toutes les duretés? Et en effet parce que la plupart ne courent au mariage que comme vers un état de vie moins pénible, il déclare que les époux sont de véritables esclaves. Enchaînés l'un à l'autre, ils n'ont plus la liberté de leurs mouvements; et tout désaccord d'action ou de volonté entraîne leur perte mutuelle. En vain une épouse chaste et vertueuse voudrait garder la continence; elle doit se soumettre aux exigences d'un époux voluptueux; la chaîne du mariage, cette chaîne qui d'abord semblait si douce et si légère, la retient, et l'entraîne bon gré mal gré sur les pas d'un mari; toute résistance devient inutile. La séparation même, loin de briser, pour cette infortunée, le joug de la captivité, ne fait qu'en augmenter la rigueur, sans compter qu'elle l'expose à une punition terrible.
