68.
Cependant la vierge est à l'abri de ces mille tribulations : sa modeste demeure ne connaît ni le tumulte, ni les cris d'un nombreux domestique; et sa solitude, où règne un paisible silence, lui est un port tranquille et assuré : que dirai-je de la sérénité de son âme ! Elle est plus profonde que le calme qui l'environne. Car la vierge s'élève au-dessus de tous les intérêts de la terre; et Dieu seul devient l'objet de ses contemplations, non moins que de ses entretiens. Aussi, qui pourrait mesurer l'étendue de son bonheur, et quelle parole humaine exprimerait sa joie? Ceux-là seuls qui placent en Dieu toutes leurs délices, savent combien elle est heureuse , et combien sa félicité s'éloigne de toute comparaison.-L'éclat de l'or, me direz-vous, réjouit notre oeil. — Et moi, je vous répondrai que la splendeur du ciel est mille fois plus agréable ; et ne rayonne-t-il pas plus délicieusement à nos regards que l'or, l'argent et les diamants, tout comme l'or lui-même l'emporte sur le plomb et sur l'étain? Ajoutez encore que la possession des richesses est pleine d'inquiétudes , tandis que la vue du ciel est libre de toute sollicitude , et nous affranchit des soucis de l'avarice. — Mais nous ne voulez pas élever vos regards vers le ciel. — Alors je vous le dis à votre honte , ainsi que s'exprime l'Apôtre : contemplez sur nos places publiques cet or dont vos yeux et votre coeur sont épris. Hélas ! je m'égare, et je ne m'aperçois pas que presque tous les hommes rejettent de faciles jouissances pour ne concentrer leurs joies que dans la peine, l'inquiétude et l'affliction ; car, pourquoi cet or et cet argent qui resplendissent sur le forum ne flattent-ils point votre regard, comme si vous les aviez en bourse? L'éclat en est cependant ravissant, et la vue en est libre et permise. Ah ! c'est que cet or et cet argent ne vous appartiennent point; et que vous n'aimez que celui que vous possédez. C'est donc l'avarice seule qui fait briller l'or à vos yeux; autrement, si c'était sa valeur intrinsèque, il vous plairait en tous lieux.
Serait-ce son utilité qui vous charmerait? mais le cristal est plus utile, puisque les riches le préfèrent pour en faire des coupes. Celles même qu'un excès de luxe fait ciseler en or, ou en argent, ne servent qu'à enchâsser une coupe de cristal : en sorte que celle-ci est reconnue plus utile et plus commode, et que celle-là n'est employée que comme un ornement, et une satisfaction donnée à la vanité. Mais que signifient ces mots : le mien et le tien. Véritablement, lorsque j'en pèse le sens, je n'y trouve que néant et vanité. Et en effet que de gens perdent, de leur vivant, ce droit de propriété ! et s'ils le conservent pendant la vie, peuvent-ils empêcher que la mort ne le leur ravisse violemment? Or, cela est vrai non-seulement de l'or et de l'argent, mais des bains, des jardins et des palais. L'usage en est commun à tous ; et l'unique avantage du propriétaire est l'obligation d'un onéreux entretien. Le peuple en jouit gratuitement, tandis que le propriétaire est contraint d'acheter cette même jouissance au prix de mille peines et de mille inquiétudes.
