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Eh quoi ! me direz-vous, la virginité ne produit-elle d'autres fruits que l'éloignement de toutes ces tribulations? une si faible récompense est-elle en proportion avec une vertu aussi élevée? et qui voudrait, pour un prix aussi modique, en embrasser la pratique, et en affronter les luttes? Le combat va s'engager contre les puissances infernales, car ce n'est pas seulement contre la chair et le sang, contre la nature et la concupiscence qu'il nous faut résister (Ephés. VI, 12) ; mais; créatures faibles et mortelles, nous devons, nous vierges, rivaliser avec les intelligences célestes, et vous ne nous proposez que des avantages terrestres Vous ne connaîtrez pas , dites-vous, les tribulations du mariage. Ce langage ne nous satisfait point; voici celui qu'aurait dû tenir l'Apôtre : La vierge qui se marie , ne pèche point, mais elle rejette elle-même cette palme glorieuse, et ces ineffables récompenses qui sont l'apanage exclusif de la virginité. Ne devait-il point retracer ce triomphe éclatant qui couronne, dans le ciel la victoire des vierges? Elles s'avancent au-devant de l’Epoux divin, et tiennent des lampes étincelantes de lumière. Elles forment autour de son lit nuptial une garde d'honneur et de fidélité, et brillent au premier rang près de son trône royal. Mais au lieu de nous tenir ce sublime langage, il ne nous parle que du frivole avantage de ne pas connaître les misères humaines. Je crois, dit-il, que la virginité, est un bien, parce qu'elle nous délivre des maux de la vie présente. Il ajoute encore : Si une fille se marie, elle ne pèche point, mais elle souffrira des tribulations dans la chair. Entendez-vous ce silence complet et absolu sur tout motif spirituel et divin, et cette double omission de toute récompense céleste? Bien plus , dans toute la suite de son Epître, nous retrouvons toujours cette même absence de pensées religieuses: on dirait qu'il n'envisage et n'estime que les choses de la terre : Le temps est court, dit-il; et au lieu d'ajouter: je désire donc que vous en profitiez pour vous assurer dans le ciel la gloire et les honneurs de la virginité, il se contente de dire : Je désire que vous soyez sans inquiétude.
Ma première réponse à votre objection sera de vous faire observer, qu'en parlant du pardon des injures, l'Apôtre suit également une marche qui semble toute contraire à son but : Si votre ennemi a faim, dit-il, donnez-lui à manger. S'il a soif, donnez-lui à boire. (Rom. XII, 20.) Mais quels seront les motifs de cette héroïque charité, de cette latte violente contre l'entraînement de la colère , et de ces efforts généreux qui peuvent seuls éteindre les feux de la haine et de la vengeance? Sans doute la pensée du ciel et la vue de ses récompenses. Nullement; il ne nous propose que le plaisir de nuire à notre ennemi : Par ce moyen, ajoute-t-il, vous amasserez des charbons ardents sur sa tête. (Ibid.) Pourquoi donc parle-t-il ainsi? est-ce qu'il ignorait l'art de la persuasion? Non, c'est ici surtout que je comprends à quel degré il possédait le secret de gagner les cœurs. Comment cela, me direz-vous? je m'explique; il parlait aux Corinthiens, auprès desquels il se glorifiait de ne savoir que Jésus, et Jésus crucifié, aux Corinthiens qui, encore charnels, et peu avancés dans les voies de l'esprit, avaient besoin d'être nourris du lait des faibles. Il leur écrivait : Je ne vous ai point nourris de viandes solides, parce que vous ne pouviez les supporter; à présent même, vous ne le pouvez pas encore, parce que vous êtes toujours charnels, et que vous vous conduisez selon l'homme. (I Cor. III, 2, 3.) Voilà pourquoi il n'allègue, pour les éloigner du mariage et les porter à la virginité, que des motifs tirés d'intérêts humains et terrestres. Il n'ignorait pas en effet que- ces motifs seraient puissants sur des esprits peu élevés, et sur des coeurs attachés aux sens et à la chair.
Ne voyons-nous pas chaque jour des hommes grossiers et ignorants se-faire comme un jeu de mêler le saint nom de Dieu à leurs serments et à leurs parjures? Mais proposez-leur de jurer par la vie de leurs enfants : ils s'y refuseront obstinément. Ce second péché est moins grave que le premier, et entraîne un châtiment moins sévère : cependant il tombe davantage sous les sens., et la matière en est plus présente, c'est pourquoi on craint beaucoup plus de le commettre. C'est ainsi encore qu'auprès d'un pauvre et d'un affligé, l'espérance d'un avantage présent pour eux-mêmes, ou pour leurs enfants, est une consolation bien plus efficace que la promesse réitérée du royaume des cieux. Oui, ils sont principalement sensibles à une guérison inespérée, à un emploi lucratif, et à un grand danger évité. Tant il est vrai que presque tous les hommes n'estiment que les biens présents et sensibles. Ces biens et ces maux que nous voyons, que nous ressentons excitent plus fortement soit nos désirs, soit nos craintes , parce que les uns et les autres. sont plus près de nous, plus à notre portée.
Vous comprenez maintenant la marche que suit l'Apôtre pour amener les Corinthiens à l'estime de la virginité, et les Romains à la pratique du pardon des injures. Un chrétien encore faible dans la foi, renoncera moins aisément au funeste plaisir de la vengeance par la perspective éloignée du royaume des cieux que par la certitude présente de nuire à son ennemi. C'est pourquoi saint Paul voulant déraciner dans les coeurs le souvenir des injures et l'explosion de la colère, présente d'abord les motifs qu'il estime les plus capables de faire impression. Toutefois ne croyons point qu'il fasse ici.entièrement abstraction des récompenses futures; non, le grand Apôtre ne commet pas cet oubli, mais il s'attache à nous inspirer d'une manière ou d'une autre le goût de la générosité, et comme à ouvrir une porte à la réconciliation. Car dans toute grande entreprise; le plus difficile est de commencer, et quand on a bien commencé, on a déjà levé presque tous les obstacles.
Jésus-Christ, il est vrai, adopte une méthode toute différente, et ne parle que des récompenses célestes. S'agit-il de la virginité? Il y a des eunuques, dit-il, qui se sont rendus tels pour le royaume des cieux. S'agit-il de prier pour nos ennemis? Soyez, dit-il, semblables à votre Père qui est dans les cieux. (Matth. XIX, 12.) C'est ainsi qu'il laisse de côté, comme bon seulement pour des esprits faibles et pusillanimes, les motifs d'une vengeance légitime, et ces charbons ardents que nous amassons sur la tête de nos ennemis. Il ne propose donc à ses auditeurs que les considérations de l'ordre le plus élevé. Mais quels étaient ses auditeurs? C'étaient Pierre, Jacques, Jean et les autres Apôtres. Est-il étonnant qu'il ne leur parle que de récompenses célestes? et l'Apôtre, lui aussi, eût tenu le même langage, s'il eût eu les mêmes auditeurs. Mais parce que les Corinthiens étaient encore tout charnels, il leur promet le genre de récompenses qui peut les exciter le plus fortement à la vertu. C'est ainsi encore que le Seigneur proposait aux Juifs pour prix de leur obéissance, l'abondance des prospérités temporelles, et se taisait sur les biens de la vie future. Il les menaçait également, non des supplices éternels de l'enfer, s'ils transgressaient sa loi, mais de leur envoyer des pestes, des famines, des guerres et l'exil , parce que des hommes tout terrestres désirent vivement ces biens, et ne redoutent pas moins ces maux, tandis qu'ils sont peu touchés de ceux qu'ils n'aperçoivent que de loin.
Saint Paul s'attache de .préférence aux motifs qui pouvaient le plus aiguillonner ses auditeurs. Il voulait encore leur montrer un mérite particulier de la virginité. Les autres vertus nous coûtent ici-bas beaucoup de fatigues, et en sont récompensées. que dans le ciel ;mais celle-ci nous offre encore ce précieux, avantage, qu'elle nous affranchit de mille inquiétudes. Enfin il se proposait un troisième, but, celui de prouver que malgré une apparente impossibilité, la virginité est d'une pratique facile : c'est ce but qu'il atteint pleinement en énumérant toutes les difficultés et les tribulations du mariage. La virginité, semble-t-il nous dire, vous paraît pénible et difficile; eh bien ! je vous engage à l'embrasser, parce qu'elle est plus douce et plus aisée que le mariage : et comme je souhaite votre bonheur, je désire que vous viviez tous dans la continence.
Mais ici vous m'arrêtez soudain, et vous me reprochez de dépeindre le mariage comme une source de peines et d'ennuis; il enfante au contraire, dites-vous, la joie et le plaisir. N'est-ce pas lui qui prépare une voie facile aux instincts de la nature, et aux voluptés des sens? Sa présence bannit de la vie la tristesse et le chagrin et amène la gaieté, le ris et les délices. Festins splendides, riches parures, parfums exquis et vins délicieux, voilà son cortége ; nommez une jouissance que ne produise pas le mariage?
