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Voulez-vous mieux comprendre encore ces paroles de l'Apôtre: avoir une épouse et vivre comme si l'on n'en avait pas? Examinons ensemble la conduite de l'homme qui s'est voué à la sainte virginité : il s'inquiète peu d'acheter de nombreux esclaves, d'amasser des trésors , de réunir de riches parures, de bâtir des palais magnifiques, et d'agrandir ses vastes domaines ; il dédaigne toute cette vaine opulence : un simple vêtement, et une nourriture commune suffisent à son bonheur. Or, l'homme marié peut imiter cette sage tempérance, car ce précepte de l'Apôtre : Ne vous refusez point l'un à l'autre, ne concerne que le devoir du mariage; et c'est seulement en ce point que les deux époux sont soumis l'un à l'autre. Mais pour ce qui regarde l'habillement, la nourriture et mille autres détails de la vie, chacun demeure entièrement libre. Ainsi l'époux peut, sans l'agrément de son épouse , s'abstenir de vivre délicatement, et de s'occuper d'une multitude de soins superflus. Rien non plus n'oblige une femme à aimer la parure, la vaine gloire, à porter le joug de mille préoccupations frivoles. J'ajoute qu'ici le langage de l'Apôtre est juste et légitime, parce que la nature exige l'accomplissement du devoir conjugal : c'est pourquoi cet acte est privilégié et commandé, de sorte qu'un dés époux n'a pas le droit d'en priver l'autre; mais la paresse seule et la mollesse, et non la nature, enfantent l'amour des plaisirs, la recherche du vêtement et les mille frivolités du luxe. Aussi dans toutes ces choses les époux sont-ils indépendants l'un de l'autre. Etre marié, et se conduire comme si on ne l'était point, c'est donc s'épargner tous les soucis qu'exigent la parure et la sensualité d'une femme, et se borner aux soins raisonnables d'un modeste entretien et d'une table frugale; et l'Apôtre lui-même nous explique sa pensée quand il ajoute : Que ceux qui pleurent, soient comme s'ils ne pleuraient pas; et ceux qui jouissent de grandes richesses, comme s'ils n'en jouissaient pas. (I Cor. VII, 30.) Et en effet celui-là ne recherche pas les biens de la terre, qui n'y place point son estime, ni ses complaisances; et il ne craint point la médiocrité, ni même l'indigence, celui qui ne pleure point la perte de sa fortune.
Il est facile maintenant de saisir le sens de cette parole: Que ceux qui sont mariés, soient comme s'ils ne l'étaient pas. Elle signifie qu'ils doivent user des choses de ce monde, et n'en pas abuser: L'homme marié est contraint de s'en occuper. Sans doute la virginité, pas plus que le mariage, n'est exempte de peines et de sollicitudes; mais dans le mariage elles sont inutiles et superflues, souvent même dangereuses et funestes, car l'Apôtre dit que les époux souffriront des tribulations dans leur chair. Celles au contraire qui accompagnent la virginité produisent des biens infinis. N'est-il point sage dé choisir un état, où les peines sont et plus légères en elles-mêmes, et plus magnifiquement récompensées ? Quelles sont en effet les préoccupations d'une vierge ? Le soin de surveiller ses revenus , ses esclaves , ses intendants , ses cuisiniers et ses fournisseurs? Nullement: elle s'est délivrée de tous ces soucis. Serait-ce le soin de friser artistement ses cheveux, de les orner d'or et de pierreries, et de relever l'éclat de son visage par des pâtes odorantes? (I Tim. II, 9.) Nullement encore: elle ne songe qu'à pa
rer de vertu et de piété le temple saint de sol corps et de son coeur. (I Cor. III, 17.) Mais le femme mariée s'occupe de plaire à son mari (I Cor. VII, 34.) Et admirez ici la sagesse de l'Apôtre : il évite de descendre dans le détail de toutes les souffrances auxquelles ce soin de plaire soumet le corps et l'esprit; il faut contrarier l'un, le parfumer et le torturer de mille manières, et il faut façonner l'autre à l'avarice et à la flatterie, au mensonge et à la dissimulation , et à mille pensées aussi fatigantes qu'inutiles. Toutes ces misères, l'Apôtre les indique d'un seul mot, et il nous laisse le soin de les approfondir, il lui suffit d'avoir constaté l'excellence de la virginité ; et parce qu'il l'a exaltée au-dessus du mariage, il craint qu'on ne le soupçonne d'en faire une obligation. C'est pourquoi après avoir déjà dit: Quant aux vierges, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur, et encore : Si une fille se marie, elle ne pèche pas, il ajoute : Je ne vous dis pas ceci pour vous tendre un piège. (I Cor. XXV, 28,35.)
