XXVI.
Fuyez ces erreurs, je vous prie, et parce que le Seigneur.a dit que la voie étroite n'était suivie que par. un petit nombre, gardez-vous de vous laisser prendre aux apparences1. Vous voulez être du petit nombre, mais du petit nombre de ceux qui sont les plus pervertis. Je l'avoue, si l'on cherche l'innocence absolue, on ne la trouve que dans le petit nombre; mais si l'on regarde parmi les pécheurs, on voit.que les homicides sont moins nombreux que les pécheurs, et les incestueux, que les adultères. Prenez même les fables de l'antiquité, les Médée, et les Phèdre sont moins nombreuses que les femmes coupables d'autres crimes ; les Ochus et les Busiride sont moins nombreux que les hommes coupables d'autres impiétés et d'autres fautes. Voyez donc si l'horreur profonde qu'inspire votre impiété ne constituerait pas tout le mérite de votre petit nombre. A ne juger les choses que dans vos livres, dans vos paroles et dans votre croyance, on s'étonne que votre hérésie trouve si peu de dupes pour l'embrasser ou y persévérer. Au contraire, quand on parle du petit nombre des saints qui courent la voie étroite, on établit un contraste entre ce petit nombre et la multitude des pécheurs. C'est la petite quantité de bon grain ensevelie sous un monceau de paille; la mission présente de l'Eglise catholique c'est de recueillir ce grain et de le battre ; à la fin des siècles il sera vanné et purifié2. C'est dans cette Eglise que vous devez vous réfugier si vous désirez fidèlement être fidèle et renoncer à ces erreurs que vous ne pouvez accepter sans réaliser cette parole de l'Ecriture : « Vous nourrissez les vents3 », c'est-à-dire vous vous faites la nourriture des esprits immondes. Vous m'alléguez saint Paul; d'un côté, il se montre plein de respect pour l'Ancien Testament et pour la dispensation divine des faits et des enseignements qui y sont renfermés; mais, d'un autre côté, quand il s'agit de l'excellence charnelle de la race judaïque; quand il s'agit de ces synagogues de sa propre nation, plongées dans l'erreur et s'obstinant à méconnaître la divinité du Christ; quand il s'agit du zèle, plus que louable à ses yeux, qu'il déployait à persécuter les chrétiens; quand il s'agit enfin de cette justice légale, dont les Juifs tirent si hautement vanité parce qu'ils n'ont aucune idée de la grâce de Jésus-Christ, Paul, uniquement désireux de gagner le Christ, méprise toutes ces gloires humaines et les traite comme de la boue. Combien plus ces écrits, tout remplis d'horribles blasphèmes, et qui nous présentent la nature de la vérité, la nature du souverain bien, la nature de Dieu même soumise à des transformations si nombreuses, à des défaites si honteuses, à une corruption si profonde, souillée enfin et condamnée à une réprobation éternelle par la vérité elle-même; combien plus ces écrits doivent-ils vous paraître méprisables, non-seulement comme de la boue, mais comme un poison perfide et criminel l Combien plus, pour mettre fin à ce débat qui nous divise, devez-vous être désireux de chercher un refuge assuré dans l'Eglise catholique, si clairement annoncée dans les prophéties et si mystérieusement révélée quand la plénitude des temps fut accomplie !
Je vous parle ainsi parce que votre esprit n'est pas la nature du mal; le mal n'est pas une nature, parce qu'il n'est pas non plus la nature de Dieu, autrement je demanderais en vain le changement de ce qui est essentiellement immuable. Or, en s'éloignant de Dieu, votre âme a subi un changement, et ce changement est un mal; qu'elle revienne à ce bien immuable, avec le secours de ce bien lui-même, et ce changement sera pour elle la délivrance du mal. Si vous dédaignez ce conseil, si vous vous obstinez à croire à l'existence de deux natures, la nature muable du bien, laquelle, mêlée au mal, a pu consentir à l'injustice, et la nature immuable du mal, laquelle, mêlée au bien, n'a pu consentir à la justice, il ne vous reste plus qu'à redire cette fable ignoble, ces honteux blasphèmes qui respirent l'impureté et la fornication, et l'on vous associera à la foule de ceux dont il a été dit : « Il viendra un temps où ils ne pourront a plus supporter la saine doctrine ; éprouvant, au contraire, un violent désir d'entendre ce qui les flatte, ils auront recours à une foule de docteurs capables de les satisfaire, et fermant l'oreille à la vérité, ils l'ouvriront à des fables4 ». Si vous acceptez prudemment le conseil que je vous donne, si vous revenez à la foi d'un Dieu immuable, cette conversion louable vous placera au nombre de ceux dont l'Apôtre a dit: « Autrefois vous étiez ténèbres, maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur5 ». Ces paroles ne peuvent assurément s'appliquer à la nation de Dieu, car jamais elle ne fut ni mauvaise ni digne d'être qualifiée du nom de nature des ténèbres; elles ne s'appliquent pas davantage à la nature du mal; car, supposé qu'elle existe, elle ne pourrait jamais ni changer ni devenir lumière. Mais ces mêmes paroles s'appliquent parfaitement à cette nature qui n'est pas immuable, et qui se couvre de ténèbres quand elle se sépare de la lumière immuable, principe de son existence. Qu'elle revienne à Dieu, et aussitôt elle redevient lumière, non pas en elle-même, mais dans le Seigneur. En effet, puisqu'elle n'est pas la lumière véritable, toutes les clartés dont elle peut jouir ne lui viennent pas d'elle-même, mais de Celui dont il est dit : « Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde6 ». Que cette belle parole soit toujours l'objet de votre foi, la nourriture de votre intelligence et de votre coeur, si vous voulez vous rendre participant du bien immuable et devenir bon vous-même, j'entends avec la grâce de Dieu; car sans elle vous ne le deviendriez jamais. Cette bonté une E fois acquise, vous ne pourriez la perdre si vous étiez immuable; et après l'avoir perdue, si vous pouvez la recouvrer, c'est parce que vous n'êtes pas immuable.
Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.
