VIII.
Si donc je vous demande de quoi a été tirée toute créature qui, quoique bonne en elle-même, est cependant inférieure au Créateur et muable par nature, quoique Dieu soit essentiellement immuable, il vous est impossible de me répondre, à moins que vous ne consentiez à avouer qu'elle a été tirée du néant. Maintenant, que cette créature vienne à pécher, du moins celle qui en est capable, n'est-il pas évident que par là elle retourne au néant, non pas sans doute pour y devenir néant, mais pour s'en rapprocher en perdant de sa force et de sa vigueur? Que cette force et cette vigueur continuent à diminuer de plus en plus; est-ce que, à la fin, le dernier état ne serait pas le néant? Se détacher volontairement des fondements inébranlables de la vérité, pour suivre des opinions essentiellement caduques et changeantes, c'est de sa part aimer la vanité. Quand elle en subit le juste châtiment, l'empire de la vanité s'impose à elle contre sa volonté. De là ce mot de l'Apôtre: « Toute créature est soumise à la vanité, et ce n'est pas volontairement1 », car l'homme n'est que vanité. En effet, il y a dans l'homme une partie invisibles l'esprit, et une partie visible, le corps; voilà pourquoi en parlant de l'homme, nous disons que toute créature est en partie visible et en partie invisible; il n'en est pas de même des animaux, car ils sont privés de la partie intellectuelle. Dans cet état l'homme conserve pourtant l'espérance, parce qu'il compte sur la miséricorde de son Libérateur, sur la rémission des péchés et l'adoption de la grâce. Au contraire, si vous soutenez que la créature qui, quoique bonne, est cependant inférieure au Créateur et essentiellement muable, n'a pas été tirée du néant parle Père, par l'organe du Fils, dans la bonté du Saint-Esprit, c'est-à-dire par la Trinité consubstantielle, éternelle et immuable, vous tombez logiquement dans des absurdités sacrilèges; vous serez réduit à dire, par exemple, que Dieu a engendré de lui , même un être qui n'est pas égal à celui qui l'a engendré et qui peut devenir victime de la vanité. Direz-vous que celui qui engendre et que celui qui est engendré sont égaux, alors vous les condamnez tous les deux à la mutabilité. Se peut-il une impiété plus grande que de croire et de formuler de telles erreurs? quel aveuglement et quelle perversité de préférer avilir Dieu plutôt que de travailler soi-même à devenir meilleur ! Dire que Dieu est muable, cela vous paraîtrait une impiété trop manifeste, vous vous y refusez; et par contre, vous faites de la créature un être immuable, afin de pouvoir l'égaler au Créateur, et soutenir que le Créateur et la créature sont d'une seule et même substance. Dans ce cas, relisez votre lettre, vous trouverez la réponse. En effet, d'où vient donc cette âme que vous placez au milieu des esprits et à laquelle vous soutenez que « dès le principe sa nature a donné la victoire? » Vous lui proposez ensuite une loi et une condition ; car, « si elle agit de concert avec l'esprit des vertus, elle participera avec lui à la vie éternelle et elle possédera ce royaume auquel le Seigneur nous convie; si au contraire elle se laisse entraîner par l'esprit des vices, et qu'après son consentement donné elle fasse pénitence, elle obtiendra le pardon de ses souillures ». Vous reconnaissez ces paroles de votre lettre, vous reconnaissez donc aussi que vous avez affirmé de l'âme qu'elle est changeante et muable par nature. Consentir à l'esprit des vices, puis faire pénitence, n'est-ce pas passer du mal au bien ? n'est-ce pas changer ? Constatons cet aveu qui vous a été arraché par l'évidence de la vérité. Votre . âme, si vous en doutiez, vous convaincrait elle-même de sa mutabilité; elle vous rappellerait le nombre de fois que, depuis votre naissance, elle a changé de volonté, de doctrine et de consentement; et pour cela elle n'aurait besoin d'aucun document extérieur.
Rom. VIII, 20. ↩
