III.
Pour vous rendre évidente l'erreur manichéenne, je n'invoquerai d'autres arguments que ceux que vous me fournissez dans votre lettre. « Vous rendez grâces, dites-vous, à l'ineffable et auguste Majesté, et à son Fils, Roi de toutes les lumières, Jésus-Christ ». Dites-moi donc de quelles lumières Jésus-Christ est roi ? Est-ce de celles qu'il a créées ou de celles qu'il a engendrées? Nous disons, nous, que Dieu le Père a engendré son Fils égal à lui-même, que par lui il a créé la nature inférieure, qui dès lors ne peut être ni de la même substance ni de la même nature que Celui qui l'a faite ou créée. Parce que c'est par Jésus-Christ que Dieu a créé les siècles, l'Apôtre l'appelle le Roi des siècles1 ; il en est le Roi puisqu'il possède la supériorité et le pouvoir de gouverner. Vous dites de Jésus-Christ qu'il est le Roi des lumières; si ces lumières ont été engendrées par-lui, pourquoi ne lui sont-elles pas égales? Si elles lui sont égales, comment peut-il en être le Roi, puisqu'il est de l'essence d'un roi de gouverner, et qu'il est évidemment impossible que ce qui est gouverné soit égal au gouverneur lui-même ? Si au lieu de les engendrer il les a créées, d'où les a-t-il créées? Si elles sont émanées de lui-même, pourquoi lui sont-elles inférieures? pourquoi ont-elles dégénéré? S'il ne les a pas tirées de lui-même, dites-moi, d'où les a-t-il tirées? Mais peut-être n'a-t-il ni engendré ni créé ces lumières dont il est le Roi ? Elles ont donc alors une origine et une nature qui leur est propre; mais cette nature doit être assez imparfaite pour qu'elle ait besoin ou qu'elle désire d'être gouvernée par une puissance voisine. S'il en est ainsi, connaissez-vous, en dehors de la nation des ténèbres, deux natures dont l'une ait besoin du secours de l'autre, mais qui ne dépendent aucunement du même principe? Une semblable opinion doit vous paraître digne du plus profond mépris, car elle est directement contraire au manichéisme, qui se garde bien de désigner dans l'énumération des deux natures le Roi des lumières et les lumières qui sont gouvernées, mais le royaume des lumières et le royaume des ténèbres. Voilà, sans doute; ce que vous me direz pour me prouver que ces lumières sont engendrées; et si je vous demande pourquoi elles sont inférieures, vous me répondrez qu'elles sont égales. J'insiste et je veux savoir pourquoi elles sont gouvernées? vous nierez qu'elles le soient. Mais alors pourquoi ont-elles un roi? Je ne vois pas comment vous tirer de cet embarras, à moins de vous repentir d'avoir placé dans votre lettre une porte par laquelle il vous est impossible de sortir. Mais je suppose votre repentir, je veux même que vous alliez jusqu'à dire qu'on ne doit pas regarder le manichéisme comme vaincu, par cela seul qu'il vous est échappé une imprudence dans votre lettre; alors je vous citerai un grand nombre de passages des livres de Manès, où il est dit clairement que le royaume de lumière ne porte ce nom que par opposition au royaume des ténèbres; il ne s'agit pas d'un seul royaume, mais de plusieurs; en voici une preuve dans les paroles suivantes de la lettre du Fondement ruineux. En parlant du Père il est dit : « Dans ses royaumes il n'y a ni indigent ni infirme ». Quand il s'agit de plusieurs royaumes, à moins de pousser l'aveuglement jusqu'à l'absurdité la plus révoltante, on comprend que l'égalité ne peut exister entre des Rois dont les uns règnent sur les autres. Réfléchissez-y quelque peu et vous comprendrez que ce serait pour vous une honte de vous repentir de ce que vous avez écrit dans votre lettre. Oui, Jésus-Christ est en toute vérité le Roi des lumières; celles-ci ne lui sont pas égales, mais inférieures par nature. Repentez-vous plutôt d'avoir été manichéen, car le début seul de votre lettre déjoue d'un seul coup toutes les machinations séductrices sur lesquelles s'appuie cette hérésie. Puisque Jésus-Christ est le Roi des lumières, il est évident qu'il n'a pas engendré de sa propre substance les natures inférieures sur lesquelles il exerce son empire: de même il est impossible qu'il ait étendu son règne et sa puissance sur une nation voisine qu'il n'a ni engendrée ni créée, car alors nous aurions deux natures bonnes par elles-mêmes, qui n'auraient entre elles aucune relation de principe, et dont l'une cependant aurait besoin de l'autre; l'évidence se refuse à une telle conclusion. La seule que l'on puisse tirer, c'est que Jésus-Christ n'a pas engendré les lumières sur lesquelles il règne, et qui néanmoins sont bonnes, puisqu'elles lui sont inférieures et soumises; quoiqu'il ne les ait pas engendrées, elles lui appartiennent de droit et sans usurpation aucune, puisqu'elles sont l'oeuvre et la création de Dieu.
I Tim. I, 17. ↩
