II.
Je l'avoue, c'est par crainte que j'ai quitté les Manichéens, mais par crainte de ces paroles de l'Apôtre: « L'Esprit de Dieu dit ouvertement que, dans les temps à venir, quelques-uns abandonneront la foi, en suivant des esprits d'erreur et des doctrines diaboliques, enseignées par des docteurs pleins d'hypocrisie, et dont la conscience est noircie de crimes. Ils interdiront le mariage et l'usage des viandes que Dieu a créées pour être reçues avec action de grâces par les fidèles, et par ceux qui connaissent la vérité. Car tout ce que Dieu a créé est bon, et on ne doit rien rejeter de ce qui se mange avec actions de grâces1 ». Ces paroles s'appliquent parfaitement à tous les hérétiques, mais les Manichéens y sont caractérisés avec une évidence frappante. Dès que dans ma jeunesse je pus comprendre ces mêmes paroles, je fus saisi de crainte et je laissai tous les biens qui m'attachaient à cette société. Il est vrai, l'amour de l'honneur fut aussi pour moi un puissant motif d'opérer cette séparation, mais de cet honneur dont parle également l'Apôtre : « Gloire, honneur et paix à celui qui fait le bien2 ». Or, comment fera-t-il le bien celui qui voit le mal, non pas seulement dans une volonté changeante, mais même jusque dans la nature immuable ? S'adressant à ceux qui se flattaient de bien parler, quand ils étaient eux-mêmes mauvais, le Sauveur s'écrie : « Ou bien rendez l'arbre bon ainsi que son fruit, ou rendez l'arbre mauvais ainsi que son fruit3 ». A ceux qui avaient cessé d'être mauvais pour devenir bons, l'Apôtre dit : « Autrefois vous a étiez ténèbres, maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur4 ». Si vous ne croyez pas à la sincérité de mon esprit, pensez de moi ce que vous voudrez; mais quand il s'agit de la vérité, réfléchissez-y plus sérieusement. N'ayez qu'une tentation humaine5. La mauvaise idée que vous avez de ma personne n'est qu'une erreur humaine, car ce dont vous m'accusez faussement pourrait être vrai. Mais quand il s'agit de cette fable persique où le grotesque le dispute à la ruse et au mensonge, ce n'est plus d'un homme mais de Dieu qu'il s'agit; c'est la vérité elle-même que vous dénaturez par vos honteux mensonges; le silence devient donc impossible, quand il s'agit de la mort éternelle de l'âme ; le mépris serait un crime. Tel est donc le point qu'il s'agit de discuter avec vous. Quant à ce qui me concerne personnellement, je ne puis que vous dire de me croire; si vous refusez, je n'ai plus qu'à garder le silence. En effet, puisque vous vous faites une idée fausse de la lumière des esprits, lumière que l'on contemple avec d'autant plus de calme qu'on l'étudie avec un œil plus pur, je me trouve dans l'impossibilité de vous prouver que vos impressions sont erronées, lors même que vous apporteriez à m'écouter toute la patience possible. La sensation éprouvée par votre œil m'est entièrement étrangère et réciproquement; sur ce point dès lors, tout ce que nous pouvons, c'est d'y croire ou de ne pas y croire. Il en est de même des affections qui nous sont propres; mais quand il s'agit de la vérité qui ne vous est pas une chose plus personnelle qu'à moi, la situation n'est plus la même; on nous la propose, c'est à nous de l'examiner avec franchise et sans aucune prévention d'esprit ou de coeur.
