XXIII.
Vous citez aussi, avec un ton de mépris dédaigneux, ces autres paroles : «Placez votre main sur mon fémur ». J'admire vraiment votre ignorance sur ce point; ne savez-vous pas qu'Abraham les adressa à son serviteur, au moment où il exigeait de lui la foi du serment? « Placez, lui dit-il, la main sur mon fémur, et jurez par le Dieu du ciel1 ». Le serviteur obéit et jura; mais l'ordre d'Abraham était une prophétie qui annonçait que le Dieu du ciel viendrait dans la chair qui sortirait de lui. O hommes saintement chastes et purs, vous méprisez, vous détestez, vous avez ces paroles en horreur! Pour le Fils de Dieu; qu'aucun contact de la chair ne pouvait changer, vous craignez même le sein d'une Vierge; et la nature du Dieu vivant, vous la changez, vous la souillez en la renfermant, non pas seulement dans la poitrine de l'homme, mais dans le sein de toutes les femmes, voire même de toutes les bêtes ! Vous qui avez en horreur le seul fémur d'un prophète et d'un patriarche, ne trouvez-vous pas les fémurs, je ne dis point des Prophètes, mais de toutes les prostituées, pour y renfermer honteusement votre dieu, sans avoir pour cela aucun besoin de jurer? J'admets que par elle-même la chasteté défende de toucher le membre du corps humain, mais quelle horreur n'inspirerait pas un serment formulé au nom d'un dieu aussi honteusement enchaîné et réduit à un esclavage aussi humiliant ! Vient ensuite l'arche de Noé2, figure de l'Eglise qui doit se composer de la réunion de tous les peuples, comme l'arche renfermait des animaux de toutes les espèces; or, vous vous plaisez à couvrir de ridicule cette arche dont vous faites une sorte de panorama ou de bazar, comme on en voit en petit dans les jeux publics. Pour mieux peindre votre pensée, par inadvertance ou par une ignorance dont je vous félicite, vous vous servez d'une expression, paxarpos, que vous dénaturez pour le besoin de votre cause, mais qui, dans son sens spirituel, s'applique parfaitement à l'Eglise. En effet, ce mot signifie une réunion de fruits de toute sorte. Mais du moins, remarquez donc que Noé, entré dans l'arche sain et sauf et devant en sortir de même, est certainement plus heureux au milieu de cette troupe d'animaux, que votre dieu, qui n'a pu échapper à la rage et à la voracité de la nation des ténèbres, et qui, au lieu d'en devenir le maître, lui a été entièrement assimilé. Vous versez ensuite le ridicule sur la lutte de Jacob contre l'ange3, au lieu d'y voir la figure prophétique du combat engagé par le peuple d'Israël contre la chair de Jésus-Christ. Mais je vous laisse libre d'y voir ce que vous voudrez; convenez du moins qu'il eût été plus glorieux pour votre dieu de combattre contre un homme, que d'avoir eu à subir une honteuse défaite et une captivité plus honteuse encore de la part des démons. Vous accusez à tort le patriarche Abraham d'avoir vendu l'honneur de sa femme. En la disant sa sueur, il n'a commis aucun mensonge, et en laissant ignorer qu'elle fût sa femme, il a fait preuve de prudence humaine4, et a remis entre les mains de Dieu seul la conservation de son honneur. Si, de son côté, il n'avait pas fait tout ce qui dépendait de lui, on ne pourrait pas dire qu'il a mis sa confiance dans le Seigneur, mais qu'il a tenté Dieu. Vous oubliez donc votre dieu; ce n'est pas son épouse, mais ses propres membres qu'il a, non pas vendus, mais livrés gratuitement à ses ennemis, avec la certitude qu'ils seraient par eux souillés, corrompus et couverts de honte. Si vous aviez un désir à formuler, ne serait-ce pas que cette belle nature de votre dieu, s'arrachant à ses ennemis, lui fût rendue dans l'état de pureté dans lequel Sara fut remise entre les mains de son époux ?
