VI.
Supposons qu'au point de vue même de la substance divine, Jésus-Christ ne soit pas le Fils unique du Père, qu'il ait des frères puisés; comment pourrait-il en être le Roi ? Direz-vous qu'il était le plus fort parce qu'il était l'aîné ? Une telle réponse vous ferait rougir; mais alors que répondrez-vous? Calmez votre indignation, restez calme et rendez-vous capable de contempler la vérité sans y mêler d'obstination. Dites-moi donc comment, dans cette substance divine et éternelle, vous comprenez que Jésus-Christ ne soit que le Fils premier-né; est-il seulement l'aîné en ce sens que d'autres frères soient nés après lui? pourriez-vous me dire de combien d'heures, de jours, de mois ou d'années sa naissance a précédé celle de ses frères ? Est-ce d'après l'intervalle temporel que ces naissances se spécifient? Si ce n'est pas par le temps, c'est donc par l'excellence même et par le degré de dignité et de majesté, en sorte que si Jésus-Christ a mérité la royauté sur ses frères, c'est parce qu'il est né en quelque sorte dans une autre royauté. Direz-vous qu'il a sur ses frères une priorité temporelle, en ce sens qu'il est né avant eux et qu'il fut un temps où ils n'étaient pas ? Que pensez-vous d'un tel blasphème ?
Ne voyez-vous pas dans quel gouffre d'impiété vous vous précipitez, si dans la nature suprême de Dieu vous admettez une succession de temps et d'époques, jusqu'à croire qu'à tel moment elle fut ce qu'elle n'était pas auparavant ? Ou bien admettez-vous la nécessité où étaient les lumières de marcher contre la nation des ténèbres, en sorte que ces départs successifs des lumières sont pour vous ce que vous appelez des générations,, générations temporelles destinées à combattre temporellement ? Une seule lumière ne suffisait donc pas pour remporter la victoire, il fallait toute la vertu divine pour terminer cette guerre ? S'il fallait un grand nombre de lumières, pourquoi ne pas les lancer toutes à la fois. Est-ce donc qu'elles n'étaient pas spirituelles, est-ce que l'issue n'était pas assez vaste, de manière que celui qui a eu le bonheur de sortir le premier, a mérité par là d'être appelé le premier-né et de régner sur ses frères ? Je ne veux pas examiner chacun des détails en particulier, car je craindrais de fatiguer votre attention. Elevez donc vos pensées plus haut, secouez les obscurités de la discussion. A mes yeux, tout cet échafaudage de lieux, de temps, de mouvements, de sorties, de ruines, ne peut s'appliquer qu'à une nature changeante ; et pourtant, quoique changeante, cette nature n'a d'autre principe d'existence que la création même de Dieu ; autrement l'Apôtre n'aurait pas dit : « Ils ont adoré et servi la créature de préférence au Créateur qui est béni dans tous les siècles1 ».
Rom. I, 25. ↩
