V.
Le néant, c'est donc de là qu'est sorti l'univers, sous la main créatrice du Tout. Puissant. Mais peut-être qu'en appelant Jésus. Christ le premier-né de l'ineffable et auguste Majesté, vous vous placez en dehors de la sphère de l'Incarnation, en vertu de laquelle, selon l'Apôtre, nous avons été nous-mêmes adoptés pour devenir les enfants de Dieu, en sorte que Jésus-Christ, Fils de Dieu par nature, a daigné nous adopter pour ses frères et s'appeler le premier-né d'entre nous a. Ce serait donc au point de vue de la Divinité même que vous l'appelleriez le premier-né, en sorte qu'il serait proprement le frère de ces lumières sur les. quelles il règne. Ces lumières n'auraient pas été créées par le Père, mais engendrées du Père après Jésus-Christ, de telle sorte que Jésus-Christ serait le premier-né, les lumières ne seraient nées qu'après lui, mais tous se. raient d'une seule et même substance. Si c'est là ce que vous croyez, vous vous mettez en contradiction directe d'abord avec l'Evangile qui appelle Jésus-Christ le Fils unique de Dieu . « Et nous avons vu la gloire de celui qui est le Fils unique du Père ». Si cette parole est vraie, il est impossible de supposer des frères consubstantiels à Celui qui est la vertu et la divinité même consubstantielle au Père. Dans l'Ecriture Jésus-Christ est donc désigné sous les titres de Fils unique et de premier-né: Fils unique parce qu'il n'a pas de frère; premier-né, parce qu'il a des frères. Or, il est impossible de concilier ces deux expressions si on les applique dans leur sens absolu à la seule et même nature divine. La foi catholique, qui établit une distinction essentielle entre le Créateur et la créature, ne laisse aucune difficulté dans l'interprétation de ces deux termes. Elle appelle Jésus-Christ Fils unique suivant cette parole : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu1 ». Elle l'appelle ensuite le premier-né de toute créature, dans le sens marqué par ces paroles de l'Apôtre : « Afin qu'il soit le premier-né parmi un grand a nombre de frères2 ». Ces frères, ce sont ceux que le Père lui a engendrés non pas dans l'égalité de la substance, mais par l'adoption de la grâce, pour établir entre eux et lui une société de frères. Lisez donc les Ecritures, jamais vous n'y trouverez un seul mot qui laisse supposer de Jésus-Christ qu'il est Fils de Dieu par adoption. Or, cette adoption nous est très-souvent attribuée : « Vous avez reçu l'esprit des enfants d'adoption, attendant l'adoption, la rédemption de notre corps3 ; afin que nous recevions l'adoption des enfants4; il nous a prédestinés pour l'adoption des enfants5; nation sainte, peuple d'adoption6; il vous a appelés par notre Evangile à l'adoption de la gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ7 ». Lisez, et vos souvenirs ou la lecture vous offriront un grand nombre de passages du même genre. Autre chose est d'être Fils unique de Dieu par l'excellence du Père; autre chose de recevoir, par la foi en lui, le pouvoir de devenir par la grâce enfants de Dieu. « Il leur a donné le pouvoir de devenir les enfants de Dieu8 ». Ils ne l'étaient donc pas par nature, puisqu'ils n'ont reçu le pouvoir de le devenir que par la foi en Celui « qu'il n'a pas épargné et qu'il a livré pour nous tous9 », afin que Celui qui était en lui, son Fils unique, devînt pour nous son Fils premier-né. En tant que Fils unique il est né de Dieu et non de la chair, du sang, de la volonté de l'homme ou de la volonté de la chair; en tant que premier-né pour ses frères dans l'Eglise, « le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous10 ». En tant que nous avons été naturellement les enfants de colère, c'est-à-dire les enfants de la vengeance, enchaînés dans les liens de la mortalité, il est vrai que nous avons été créés et formés par Dieu qui, depuis le cèdre jusqu'à l'hysope, dispose toutes choses avec poids, nombre et mesure; cependant nous sommes nés de la chair, du sang et de la volonté de la chair. Mais en tant que nous avons reçu le pouvoir de devenir les enfants de Dieu, nous naissons non pas de la chair, du sang, de la volonté de l'homme ou de la volonté de la chair, mais de Dieu; non point de sa substance même qui nous rendrait égaux à lui-même, mais de sa grâce qui nous adopte pour enfants.
