I.
J'ai achevé, avec l'aide de l'Esprit-Saint, l'ouvrage que j'avais entrepris pour l'éclaircissement et pour la défense de la vérité. Le Seigneur, sans le secours duquel nous ne saurions ni la connaître, ni trouver des paroles propres à l'exprimer, m'ayant inspiré ce dessein, m'a aussi fait la grâce de me permettre de l'exécuter. Je viens maintenant au principal point de cette matière, qui consiste à montrer par quelles cérémonies et par quelle sorte de sacrifice Dieu veut être honoré. C'est le plus important devoir de l'homme, et d'où dépend sa souveraine félicité.
Il a été créé non pour regarder le ciel et le soleil, comme Anaxagore se l'était faussement persuadé, mais pour adorer, avec une conscience pure, celui qui a fait le ciel et le soleil. Ce que je dirai ici du culte que nous devons rendre à notre maître, servira à la confirmation des vérités que j'ai déjà établies aussi solidement que mon peu de suffisance me l'a pu permettre. Cette majesté unique et sainte ne nous demande que l'innocence de nos mœurs. C'est le plus agréable sacrifice que nous puissions jamais lui offrir. Il y a des hommes qui s'imaginent avoir beaucoup de piété quand, après s'être souillés de toutes sortes de crimes, ils rougissent les temples du sang des victimes, ils allument du feu sur un autel, ils répandent du vin vieux en la présence de leurs dieux. Ils leur préparent aussi des festins, comme s'ils pouvaient manger. Ils jugent, non par l'idée qu'ils ont de la nature divine, car ils n'en ont aucune qui soit raisonnable, mais par la corruption de leurs passions, que tout ce qui est excellent et rare est agréable à leurs dieux, et ne font pas réflexion que ces dieux n'ont pas besoin de biens périssables. Ils n'ont de goût que pour les choses de la terre, et ne jugent du bien et du mal que par les sens extérieurs. Ils font dépendre leur religion, aussi bien que toute la suite de leur vie, du plaisir qu'ils y prennent. Depuis qu'ils ont détourné leur esprit du ciel, et qu'ils l'ont assujetti à leur corps, ils ne recherchent plus que la volupté, et la goûtent à tout moment, comme s'ils en pouvaient toujours jouir, et qu'ils ne dussent pas même en être privés quand ils seront privés de la vie. Ils considèrent les richesses comme un très grand avantage; et, quand ils ne les peuvent acquérir par de bonnes voies, ils les acquièrent par de mauvaises, par les fraudes, par les rapines, par les violences. Enfin, ils dressent des pièges pour tromper; ils se parjurent, et ils violent tout ce qu'il y a de plus inviolable, pourvu que l'or, l'argent et les pierreries reluisent sur leurs vêtements, que leur luxe entretienne abondamment leur intempérance, qu'une foule de gardes et de flatteurs les environnent sans cesse, et fendent la presse pour leur donner le moyen de passer comme en triomphe au milieu du peuple. Voilà comment la lâcheté avec laquelle ils se rendent esclaves du plaisir abat toute la vigueur de leur esprit, et les précipite à la mort dans le temps qu'ils croient jouir des douceurs de la vie avec une grande sécurité. L'âme se doit élever au ciel, comme je l'ai fait voir dans le second livre, au lieu que le corps est attaché à la terre. La lumière et la vie viennent du ciel. Ceux qui négligent les biens de l'esprit, et qui ne recherchent que ceux du corps, sont dans les ténèbres et dans la mort. Ils sont couverts d'un nuage obscur qui les empêche de voir le vrai Dieu, et de savoir quel culte il faut lui rendre.
