XXI.
Le plaisir de l'ouïe procède de la douceur de la voix et du chant, et n'est pas moins vicieux que celui de la vue, dont je viens de parler. Qui ne prendra pour des hommes perdus de débauche, ceux qui ont dans leur maison un équipage de théâtre? Il n'y a pas moins de dérèglement à avoir chez soi un théâtre et des acteurs, que de les avoir en public et de les regarder avec tout le peuple. J'ai assez parlé des spectacles ; il ne me reste plus qu'à donner des avis à ceux qui prendront la peine de lire cet ouvrage, qui est de ne se pas laisser charmer par les plaisirs qui s'insinuent jusqu'au fond de l'âme.
Il est aisé de mépriser des sons que l'on ne peut écrire, et les concerts des instruirions qui ne s'attachent pas fortement à l'esprit. Mais un poème composé avec art, surprend l'esprit par sa douceur, l'attire et l'enchante. C'est de là que procède le peu de créance que les savants ajoutent à nos mystères ; car étant accoutumés aux ornements et aux figures de l'éloquence et de la poésie, ils méprisent les instructions solides, mais peu élégantes que leur donnent nos doctrines, et la simplicité du langage de l'Écriture. Ils ne cherchent que ce qui chatouille leurs sens, et ils ne se laissent persuader que par des discours agréables. Est-ce que Dieu, qui est l'auteur de l'esprit, de la langue et de la parole, ne saurait parler en termes élégants ? Il a proposé la vérité sans fard et sans ornements, afin que tout le monde la pût connaître. Ceux qui aiment la vérité et qui ne veulent pas être trompés, doivent rejeter les plaisirs lui corrompent l'âme de la même sorte que les -ajouts corrompent le corps, et doivent préférer les biens véritables aux faux, les éternels aux temporels, les utiles aux agréables. Rien ne doit plaire à leurs yeux que ce qui se fait avec piété et avec justice; rien ne doit plaire à leurs oreilles que ce qui peut nourrir l'âme. Il faut bien se garder d'abuser d'un sens qui nous a été donné pour recevoir la doctrine du ciel. Si nous nous plaisons à entendre des airs et des chansons, entendons les louanges de Dieu, voilà le plaisir solide, parce qu'il est joint à la vertu. C'est un plaisir qui ne passe pas promptement comme ceux du corps, mais qui dure toujours. Ceux qui en cherchent d'autres, cherchent la mort, parce que la mort est dans le plaisir, comme la vie est dans la vertu ; car quiconque voudra jouir des biens temporels et terrestres, sera privé des éternels et des célestes.
