III.
Il y a deux chemins, très grand empereur, par l'un ou par l'autre desquels il faut indispensablement que les hommes passent. Par l'un on monte au ciel : par l'autre on descend dans l'enfer. Les poètes et les philosophes ont fort célébré l'un et l'autre par leurs vers et par leurs disputes. Les philosophes ont prétendu que l'un était le chemin de la vertu et l'autre le chemin du vice; que l'entrée du premier est difficile et embarrassée; mais que, dès que l'on a surmonté cette difficulté, on trouve tout le reste aisé et on entre dans une agréable plaine où l’on trouve de quoi se récompenser de son travail. Ceux qui épouvantés de cette première difficulté quittent ce chemin, en prennent un autre dont rentrée paraît beaucoup plus agréable et qui est frayé par un plus grand nombre de personnes ; mais dès que l’on est un peu avancé, toute la beauté de l'entrée disparaît et on n'y rencontre plus que des roches, des précipices, des buissons, « les ravins et des torrents, et l'on n'y peut aller sans avoir de la peine, sans échouer souvent, sans glisser et sans tomber. Cette description ne tend qu'à montrer qu'il est difficile d'acquérir la vertu, mais que quand on la possède, on en tire des plaisirs solides et durables, au lieu que l'on ne trouve dans le vice que de l'amertume et du déplaisir, bien qu'il n'ait que trop d'attrait pour nous charmer et pour nous surprendre. Cette leçon serait sans doute fort utile si ceux qui la donnent savaient en quoi consiste la vertu, et où elle se termine. Mais ils n'ont jamais appris ni ce que c'est que la vertu, ni quelle récompense Dieu lui a promise, et c'est ce que j'ai dessein de montrer dans ce livre-ci. Comme ils ne savaient pas que les âmes sont immortelles, ou qu'au moins ils en doutaient, ils n'ont attribué ni au vice ni à la vertu que des peines et des récompenses temporelles. Tout le discours qu'ils font sur les deux chemins se réduit ou à la Frugalité ou à la débauche. Ils disent que le cours de la vie humaine est semblable à un Y; que quand les jeunes gens sont arrivés à l'endroit où le chemin se divise en deux, ils échouent et doutent dans le quel ils doivent s'engager. S'ils trouvent un guide sage et fidèle qui les délivre de leur doute, et qui leur montre le bon chemin, c'est-à-dire que s'ils ont étudié ou la philosophie, ou l'éloquence, ou les belles-lettres. Ils s'adonneront à l'honnêteté et à la vertu; ce qui ne se peut faire sans une peine Incroyable. Que s'ils ne trouvent point de guides, ils s'engagent dans le chemin qui est à main gauche et qui paraît le plus beau, c'est-à-dire qu'ils s'abandonnent à l'oisiveté et à la débauche qui leur semblent d'abord fort agréables; et quand ils ont perdu leurs biens et leur réputation, ils vivent dans l'infamie et dans la misère. Voilà comment les deux chemins dont nous parlons n'aboutissent qu'au corps et à la vie présente selon les descriptions que les philosophes nous en ont laissées.
Peut-être que les poètes en auront parlé plus raisonnablement. Au lieu de tracer ces routes-là sur la terre, comme ont fait les philosophes, ils ont feint qu'elles étaient en enfer et se sont trompés en ce qu'ils ont proposé des chemins aux morts qui ne marchent plus. Les uns et les autres ont dit quelque chose de bien et de mal, et ont sans doute manqué, en ce qu'ils n'ont pas tous mis ces deux chemins dans la vie et ne les « ni pas terminés à la mort. Nous les expliquons mieux quand nous assurons que l'un de ces chemins mène au ciel et l'autre en enfer; c'est-à-dire qu'il y a une vie éternelle promise aux justes et une peine éternelle réservée aux méchants. Je dirai comment ces deux chemins mènent l'un au ciel et l'autre à l'enfer. Je montrerai ces vertus quêtes philosophes n'ont point connues, et -je proposerai leurs récompenses. Je parlerai aussi des vices et des châtiments qu'ils méritent. Quelqu'un souhaiterait peut-être que je traitasse séparément des vérins et des vices; mais ce sont des contraires qui ne se connaissent jamais mieux que par leur opposition mutuelle. Ils se suivent et paraissent tour à tour : quand la vertu entre, le vice se retire; quand le vice revient la vertu s'évanouit. Les biens et les maux sont comme dans un combat perpétuel et se chassent réciproquement. Oh ne saurait éloigner le vice sans introduire la vertu, ni bannir la vertu sans rappeler le vice. La description que nous faisons de ces deux chemins est donc fort différente de celle qu'en font les philosophes. Nous mettons en tête de chaque chemin un guide immortel, avec cette différence que l'un préside aux vertus et est dans la gloire, au lieu que l'autre préside aux vices et est condamné aux supplices. Les philosophes ne mettent un guide qu'au chemin qui est à main droite; encore n'est-ce pas toujours le même ! C'est le premier qui se présente pour enseigner quelque art louable, pour détourner de l'oisiveté et pour exciter à la vertu. Ce guide ne montre le chemin qu'à des jeunes gens, parce que l'on n'apprend les arts que dans la jeunesse. Nous ouvrons au contraire le chemin du ciel à des personnes de tout âge, de tout sexe et de toute condition; parce que Dieu qui est à la tête de ce chemin ne refuse l'immortalité à personne. Les chemins ne sont pas disposés de la manière que les philosophes les ont décrits; car étant directement opposés ils ne sont point fidèlement représentés par la figure de l'Y. Le bon chemin regarde l'orient et le mauvais l'occident. Quiconque aura suivi la vérité et la justice jouira de la lumière de l'immortalité, au lieu que ceux qui, trompés par le guide infidèle, auront préféré le vice à la vertu et le mensonge à la vérité, tomberont dans l'obscurité et dans les ténèbres. Je décrirai ici les propriétés de ces deux chemins.
